Dans ce petit livre, la philosophe Barbara Stiegler fait le récit de ce qui l’a menée à l’action militante. Elle relate le basculement de la réflexion à l’action. Rien ne serait arrivé sans la conjonction de deux faits : l’irruption du mouvement des gilets jaunes, fin 2018, et la parution, quelques semaines plus tard, de son essai Il faut s’adapter ! consacré à la généalogie du néolibéralisme, livre qu’elle se retrouve à défendre sur les plateaux. Du Cap aux grèves fonctionne un peu comme un roman de formation, car face aux interviews qui s’enchainent, commence pour elle un exercice inédit : formuler des réponses liant le contenu de son étude et l’actualité. Elle déconstruit ainsi le discours du pouvoir qui utilise des expressions comme « maintenir le cap » et « faire de la pédagogie », des mantras pour imposer le monde comme il va. Elle éclaire ce pouvoir pastoral qui passe par la douceur, le confort et la bienveillance. La lutte contre la réforme des retraites lui permet de continuer cet exercice réflexif et sera notamment l’occasion d’examiner aussi les éléments qui paralysent tout mouvement social et de tenter de « diagnostiquer nos propres faiblesses, celles des plus mobilisés d’entre nous, celles qui bloquent notre imaginaire et nous empêchent de réinventer nos grèves, nous conduisant à l’impuissance ». Passe entre autres sous ses fourches caudines le fantasme christique de la révolution. Par ailleurs, son expérience lui permet de poser le constat selon lequel le néolibéralisme passe d’abord par nous, dans nos propres manières de vivre, et donc qu’il faut savoir se changer soi-même pour changer le système. Du cap aux grèves s’arrête le premier jour du confinement. Mais elle n’a pas nécessairement abandonné la partie, en témoigne son De la démocratie en pandémie (Gallimard, collection Tracts) qui permet de poser les jalons d’une critique sociale de la gestion néolibérale et autoritaire de la pandémie.
Olivier StarquitDu Cap aux grèves
Récit d’une mobilisation / 17 novembre 2018-17 mars 2020
Barbara Stiegler
Verdier, 2020