La gauche n’a plus droit à l’erreur

Michel Rocard & Pierre Larrouturou

Crise de droite, solu­tions de gauche. Tel est le résu­mé de ce très sti­mu­lant et déca­pant livre de Michel Rocard et Pierre Lar­rou­tu­rou, un ouvrage de poli­tique concrète et prag­ma­tique aus­si enthou­sias­mant, tant sur le plan des ana­lyses intel­lec­tuelles que sur celui des pro­po­si­tions opé­ra­tion­nelles. Une grille lumi­neuse d’interprétation de la crise qui nous bou­le­verse depuis quatre décen­nies. C’est le mérite majeur de ce livre que d’y mélan­ger le recul his­to­rique, la géo­po­li­tique (les inquié­tantes évo­lu­tions entre la Chine et les USA), la crise ver­ti­gi­neuse des éco­sys­tèmes, les méta­mor­phoses de la ques­tion sociale, les ori­gines de la crise finan­cière. Le tout dans un style péda­go­gique, s’appuyant à la fois sur des gra­phiques simples (ceux du chô­mage, de l’investissement, de la dette) et des situa­tions vécues de souf­france sociale.

La thèse prin­ci­pale ? La crise finan­cière et celle de la dette (de l’Etat, des entre­prises, des ménages) tire sa source dans la gigan­tesque inéga­li­té dans la répar­ti­tion depuis 40 ans des gains de pro­duc­ti­vi­té et des béné­fices de toutes les acti­vi­tés éco­no­miques. Les plus-values, les pro­fits n’ont pas été redis­tri­bués pro­por­tion­nel­le­ment aux tra­vailleurs, aux action­naires, aux inves­tis­seurs. Ils ont été cap­tés pour gon­fler les divi­dendes, les primes fara­mi­neuses, les reve­nus des diri­geants et des hauts cadres. Consé­quences : pour main­te­nir le pou­voir d’achat, les pou­voirs publics et les ménages se sont endet­tés pour nous conduire à la crise de sur­en­det­te­ment que nous tra­ver­sons aujourd’hui. Ni les salaires, ni les inves­tis­se­ments n’ont sui­vi la courbe des béné­fices. Si la redis­tri­bu­tion eût été plus équi­li­brée, l’actuelle crise de la dette n’existerait pas.

Le livre a aus­si le mérite de faire des pro­po­si­tions concrètes. Cer­taines sont simples et tirent leur ins­pi­ra­tion dans les réponses appor­tées en leur temps par Roo­se­velt, Keynes et Beve­ridge. Le col­lec­tif Roo­se­velt 2012 en a mis une quin­zaine en exergue. D’autres pro­po­si­tions sont plus auda­cieuses et ren­contrent l’enjeu his­to­rique de la pré­ser­va­tion de la bio­sphère. Une seule ques­tion pour ter­mi­ner : qu’attend la gauche, certes dans des confi­gu­ra­tions natio­nales très diver­si­fiées, pour s’emparer de ces ana­lyses et de ces recom­man­da­tions et en faire le socle du vrai com­bat contre le capi­ta­lisme et les crises qu’il va conti­nuer à générer ?

Jean Cornil

La gauche n’a plus droit à l’erreur
Michel Rocard & Pierre Larrouturou
Flammarion,  2013

Autres Popcorns "Lecture"