Dans ce petit essai dérangeant mais lucide, Anne-Cécile Robert, journaliste au Monde diplomatique, dézingue non pas l’émotion ou les affects mais bien l’invasion de l’espace public par ceux-ci et elle pointe du doigt les risques et dangers de cette approche favorisée par une certaine paresse et un certain laisser-aller.
Ainsi, si nous n’y prenons garde, « la gestion des émotions par la société débouche sur la gestion de la société par les émotions ». Et ce recours aux émotions, cette extension du domaine de la larme qui n’est pas une garantie de pertinence et d’objectivité dépolitise également les faits et permet la diffusion d’une vision fataliste du monde. Ainsi, le traitement des questions migratoires illustre à merveille ce point : les responsables politiques vont sortir les mouchoirs et s’apitoyer, et en même temps justifier leur impuissance et participer ainsi à la diffusion d’une vision fataliste du monde
Ce traitement compassionnel qui dégrade le débat public est également renforcé par la logique binaire des réseaux sociaux et empêche toute complexité.
En outre, la précarisation des conditions de travail des journalistes joue également : il s’avérera toujours plus aisé de tendre son micro à la victime sur le terrain, de remplacer le raisonnement par l’émotion, plutôt que d’essayer de découvrir les causes profondes derrière un fait divers ou un mouvement social. En guise de solutions, l’autrice plaide pour une revalorisation de la lenteur, des espaces propices au débat où on retrouverait l’art de parler et de converser et un retour à la raison (en tordant en passant le cou au faux procès d’hyper rationalisme froid fait aux Lumières).
Olivier StarquitLa stratégie de l’émotion
Anne-Cécile Robert
Lux, 2018