Le ministère des contes publics

Sandra Lucbert

Dans Per­sonne ne sort les fusils (Le Seuil, 2019), San­dra Luc­bert ana­ly­sait le pro­cès de France Télé­com pour décor­ti­quer le lan­gage impla­cable des mana­gers. Dans Le minis­tère des contes publics, elle pour­suit cette mis­sion de dis­sec­tion de la langue capi­ta­liste néo­li­bé­rale (LCN) par le biais de l’évocation de la pré­ten­due néces­si­té de réduire la dépense publique au nom de la dette. Pour illus­trer cela, elle part d’une tra­gé­die sur­ve­nue suite à la fer­me­ture d’une mater­ni­té pour per­mettre à l’État de « faire des éco­no­mies » : une femme sur le point d’accoucher va perdre son enfant car elle n’aura pas eu le temps de rejoindre un hôpi­tal plus loin­tain. L’auscultation de cer­tains effets de lan­gage per­met de dis­tin­guer les inva­riants de cette LCN : elle « requiert abso­lu­ment du bario­lé dans l’identique. Le c’est comme ça doit s’énoncer depuis une mul­ti­tude d’endroits dif­fé­rents, mani­fes­te­ment indé­pen­dants les uns des autres ». Et, en fin de compte, cette langue, par­ta­gée par tous, par­lée par tous impose le nor­mal. Le man­tra de la dette publique per­met d’imposer un disque bud­gé­taire et ce disque s’avère être « un canon. En tous les sens du terme : une musique, une mesure et une arme ». Un canon qui contri­bue au bruit média­tique quo­ti­dien com­po­sé de ces phrases toutes faites que l’on ne relève plus parce qu’elles sont deve­nues évi­dentes. C’est ain­si que l’argument de la dette publique coupe court à tout débat sur les poli­tiques publiques. Cette logor­rhée tech­ni­cienne et natu­ra­li­sante mine l’exercice démo­cra­tique puisqu’elle en cir­cons­crit le champ et tend à infan­ti­li­ser le citoyen. Un bref essai inci­sif, lucide, mor­dant et féroce qui, par un détour via la lit­té­ra­ture et les clas­siques, fait miroi­ter l’existence d’outils pro­pices à démys­ti­fier ce qui vou­drait tant être évident et naturel.

Olivier Starquit

Le ministère des contes publics

Sandra Lucbert
Verdier, 2021

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