Les mots de la haine

Isabelle Kersimon

L’extrême droite, qui a lu Gram­sci, mène depuis la fin de la Seconde Guerre mon­diale un « com­bat cultu­rel » dans lequel la bataille des mots est fon­da­men­tale. Cette bataille vise à fabri­quer, dans nos ima­gi­naires, une réa­li­té alter­na­tive extrê­me­ment per­verse. L’hégémonie cultu­relle et intel­lec­tuelle acquise par cette extrême droite s’exprime dans l’extension, au sein de l’espace public, de ses thèmes et de son voca­bu­laire. Il n’est pas rare en effet que celles et ceux qui s’approprient des concepts aus­si dou­teux qu’« isla­mo­gau­chisme » ou, dans cer­tains usages, « isla­mo­pho­bie » reven­diquent, plus ou moins tac­ti­que­ment, leur appar­te­nance à la gauche. Ce glos­saire pro­pose de recon­naitre, dans l’écosystème d’un fas­cisme qui vient, les mots et les concepts qui ont empoi­son­né le débat public pour impo­ser leurs vues hégé­mo­niques. L’au­teure, Isa­belle Ker­si­mon, fon­da­trice et pré­si­dente de l’Ins­ti­tut de recherche et d’é­tudes sur les radi­ca­li­tés (INRER), entend aler­ter sur la nor­ma­li­sa­tion en cours des droites dures. Une bana­li­sa­tion qui s’o­père par l’usage crois­sant d’ex­pres­sions et de concepts propres à leur vision du monde. Ain­si en est-il de termes comme « Grand rem­pla­ce­ment », « cin­quième colonne », « occi­den­to­pho­bie » ou de la for­mule « pada­mal­gam ». Ou encore de « nou­vel anti­sé­mi­tisme », « tota­li­ta­risme vert », « isla­mo-fas­cisme » ou bien « tyran­nie des mino­ri­tés »… Pour mieux cer­ner le dan­ger que ces expres­sions repré­sentent, Isa­belle Ker­si­mon res­ti­tue les défi­ni­tions au-delà du simple dic­tion­naire, les usages et leurs des­sous avec un sou­ci de la rigueur qui trans­pa­rait dans l’a­na­lyse. Les mots de la haine nous plonge ain­si dans les méandres de la réa­li­té fac­tice pro­duite par l’ex­trême droite. Face au rou­leau com­pres­seur que les réseaux d’ex­trême droite exercent aujourd’­hui tout par­ti­cu­liè­re­ment sur les réseaux sociaux, la contri­bu­tion qu’ap­porte Isa­belle Ker­si­mon avec son livre est indis­pen­sable et peut ser­vir d’ap­pui au tra­vail de sen­si­bi­li­sa­tion au dan­ger enga­gé par bien d’autres acteurs au sein de la socié­té civile. Car, ne l’oublions jamais, les mots sont impor­tants. Et par­ler avec les mots de l’adversaire équi­vaut à rendre les armes.

Olivier Starquit

Les mots de la haine - Glossaire des mots de l’extrême droite
Isabelle Kersimon
Rue de Seine, 2023

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