Dernier ouvrage paru dans la collection « Le mot est faible », le livre de la sociologue Annabelle Allouch décortique les usages faits du terme « mérite ». Ce mot que l’on retrouve dans la bouche de nombreux femmes et hommes politiques est une pièce- maîtresse du dispositif de l’insidieuse gouvernementalité néolibérale. Pour l’autrice, le mérite est « une pratique sociale de l’évaluation, de la comparaison (souvent quantifiée) et du classement perpétuel des individus », permettant ainsi la promotion de la mise en concurrence de tous contre tous. Le terme est mobilisé pour légitimer de manière commode et souvent a posteriori les inégalités. Il fait également office de fiction nécessaire : « croire que notre seule volonté peut affecter notre trajectoire sociale nous permettrait de faire taire le sentiment anxiogène de notre propre impuissance face aux structures sociales ». Annabelle Allouch identifie aussi un des effets pervers de la méritocratie, à savoir celui de favoriser une redistribution des opportunités au profit des individus déjà identifiés comme talentueux et non pas dans le sens de donner à tous des moyens égaux par le biais d’une éducation universelle. En somme, pour l’autrice, le mérite est « une technique de gouvernement qui permet de conformer et de réguler les comportements face au travail scolaire et au travail tout court ». Un livre percutant, d’utilité publique, qui éclaire ce terme imposteur, passager clandestin du néolibéralisme.
Olivier StarquitMérite
Annabelle Allouch
Collection "Le mot est faible"
Anamosa, 2021