On n’a que deux vies

Adel Tincelin

Adel est né lorsqu’Aude Tin­ce­lin, la veille de ses 41 ans, com­prend qu’ille n’est pas une fille. On n’a que deux vies est le récit de sa « tran­si­tude », plus que tran­si­tion ; car il ne s’agit pas de pas­ser d’un état à un autre, mais bien d’apprendre à vivre entre, dans les espaces impré­vus de nos socié­tés nor­mées et binaires. Adel Tin­ce­lin nous donne à sen­tir une suc­ces­sion de glis­se­ments, au gré des moments de joie, de peurs, de confiance ou de doute qui accom­pagnent sa méta­mor­phose. Sa langue dans sa spon­ta­néi­té se fait quelques fois presque enfan­tine comme par un retour aux pre­mières décou­vertes, lorsqu’également, par nos édu­ca­tions, tout se fige. Se trans­for­mer, c’est recon­si­dé­rer les choses une par une, et voir ensuite ce qu’il en reste.

À tra­vers cette expé­rience sin­gu­lière, il appa­rait que les plus grandes trans­for­ma­tions sont faites d’une mul­ti­tude de petites com­pré­hen­sions, alté­ra­tions de la per­cep­tion, et de quelques grandes déci­sions révo­lu­tion­naires. Ici, l’écriture est mou­ve­ment plus que gram­maire, car l’histoire de la récu­pé­ra­tion, ou de la réin­ven­tion, de son propre corps pro­voque l’implosion d’une pen­sée cloi­son­née et avec elle, l’impératif ver­ti­gi­neux de repen­ser le lan­gage. Pas de nou­velles manières d’exister sans mots pour le dire et le pen­ser, se dire et se pen­ser sur­tout, condi­tion néces­saire pour se relier au reste du monde. Car dans le texte d’Adel Tin­ce­lin, l’omniprésence du « je » et cette recherche obs­ti­née du « moi » n’est pas une nou­velle mani­fes­ta­tion lit­té­raire de l’individualisme de notre siècle, mais bel et bien une quête d’autres modes d’être et de vivre. Com­bats admi­nis­tra­tifs, explo­ra­tion sexuelle, ten­ta­tives de redé­fi­ni­tion plus fluide de la mater­ni­té ou de l’amour, c’est avec force et colère, mais aus­si avec géné­ro­si­té et sans haine qu’Adel Tin­ce­lin témoigne qu’« il y a encore [beau­coup] à défaire ».

Valentine Bonomo

On n’a que deux vies.
Journal d’un transboy
Adel Tincelin
Cambourakis, 2019.

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