Il faut lire l’essai philosophique de François De Smet, Reductio ad Hitlerum. Les livres qui remuent l’esprit ne sont pas si fréquents. En s’appuyant sur la théorie, empirique et ironique, de l’avocat américain Mike Godwin dans les années 1990 qui stipule que « plus une discussion dure longtemps, plus les chances de voir un interlocuteur se référer aux nazis deviennent élevées », version actualisée de l’argument de Léo Strauss, le jeune penseur belge nous entraine dans de profondes réflexions sur la liberté d’expression, la fragilité de la démocratie, la fascination pour le bourreau ou « la part maudite » qui se dissimule en chacun d’entre nous. D’Albert Cohen à Jonathan Littell, de Hannah Arendt à Stanley Milgram, l’auteur ne cesse de s’interroger au travers de la tradition philosophique et de la littérature sur la capacité de l’homme à s’arracher aux forces obscures qui nous enserrent. Les Justes et les résistants sont des exceptions « parce que l’être humain est ainsi fait qu’il s’ajuste en permanence à son environnement, y compris lorsqu’il pense se forger une opinion, et que s’arracher à la majorité revient à s’arracher à la nature – et si cet arrachement est toujours possible, il n’est jamais facile ni spontané ». Résister à la tentation du groupe, de la meute, de la force, se hisser hors des instincts grégaires, voilà un formidable programme existentiel pour frôler quelque ivresse de la liberté, briser les déterminismes et approcher un peu de soi-même.
Jean CornilReductio ad hitlerum
Une théorie du point Godwin
François De smet
PUF, 2014