Révolution

Ludivine Bantigny

Ce court ouvrage d’un peu moins de cent pages pro­voque l’ivresse. L’ivresse de pou­voir goû­ter par les mots ce moment où le pré­sent devient tel­le­ment insup­por­table qu’il n’y a plus d’autres alter­na­tives que de le ren­ver­ser. C’est aus­si un ins­tant éphé­mère, qui dis­pa­raît simul­ta­né­ment et invo­lon­tai­re­ment au moment même où cette révo­lu­tion s’incarne, pour faire place à un nou­veau sys­tème. Ce momen­tum où tout se bous­cule, Ludi­vine Ban­ti­gny, his­to­rienne à l’université de Rouen-Nor­man­die, l’aborde tout d’abord par les émo­tions. Elle jongle adroi­te­ment avec les termes : elle les fait rimer, s’entrechoquer, s’acoquiner avant d’en déga­ger la saveur poé­tique qu’amène ce chan­ge­ment struc­tu­rel. L’autrice glisse d’une époque à l’autre, afin de confron­ter d’hier à aujourd’hui l’essence de ce mou­ve­ment. Ensuite, très habi­le­ment et sur­tout sans las­ser, l’écrivaine convoque quelques grandes dates et figures de l’histoire : la Com­mune, Louise Michel, Rosa Luxem­bourg, Che Gue­ve­ra, la Ter­reur, la Rus­sie, Alexan­dra Kol­lon­taï ou encore Mai 68. « Face à un sys­tème bien orga­ni­sé, la pré­misse d’une révo­lu­tion tient sans doute dans la dés-adhé­sion : se désas­si­gner pour deve­nir sujet ». Une phrase par­mi d’autres, que Ludi­vine Ban­ti­gny se plait à conju­guer au pas­sé, au pré­sent et en esquis­sant phi­lo­so­phi­que­ment en fin d’ouvrage quelques trames pour le futur, avec le capi­ta­lisme en ligne de mire : « la révo­lu­tion (…) change les cri­tères de réfé­rence : non plus le mar­ché, mais le par­tage, non plus la concur­rence, mais la soli­da­ri­té, non plus la publi­ci­té, mais l’art par et pour cha­cun, non plus la com­pé­ti­tion, mais le com­mun. En cela, elle redonne du sens à ce qui n’en avait plus et du désir quand il s’était per­du ». Vous vous sou­vien­drez cer­tai­ne­ment de ces cours d’histoire, aus­si rasants qu’insipides, car dénués de réso­nance pour soi. Oubliez-les et pro­fi­tez ici de son anti­thèse, où l’ap­proche des révo­lu­tions n’est plus pré­sen­tée par un amas de bou­quins et d’images en noir et blanc, mais devient l’expression d’un vécu universel.

Pierre Vangilbergen

Révolution
Ludivine Bantigny
Anamosa, 2019

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