Terre et liberté

Aurélien Berlan

Suite aux remous vécus ces der­nières années (la pan­dé­mie, le confi­ne­ment, la vac­ci­na­tion, nous avons tous été témoins d’une cer­taine confu­sion autour du concept de liber­té, constam­ment évo­qué mais rare­ment défi­ni. Rien que pour cette rai­son, le livre d’Aurélien Ber­lan tombe à point nom­mé. Il s’attelle en effet à rap­pe­ler ce que pour­rait être la liber­té pour les tenants de la décrois­sance et de l’anticapitalisme. Et pour ce faire, il explique dans un pre­mier temps la concep­tion libé­rale de la liber­té comme déli­vrance. Ce fan­tasme de la déli­vrance nous rend dépen­dants d’un sys­tème qui détruit les condi­tions de vie de la plu­part des êtres vivants. Puis le phi­lo­sophe fran­çais dénonce la reprise de cette concep­tion par le camp de l’émancipation. Or, cette aspi­ra­tion à la déli­vrance des néces­si­tés maté­rielles de la vie a tou­jours carac­té­ri­sé les classes domi­nantes qui n’ont eu de cesse de vou­loir faire faire ces tâches aux classes domi­nées. Après ces deux moments d’exposition, Auré­lien Ber­lan rap­pelle que la liber­té n’est pas la déli­vrance mais bien l’autonomie. Ain­si pour se libé­rer de la domi­na­tion, il faut se libé­rer de la concep­tion libé­rale de la liber­té comme déli­vrance. Car, « s’émanciper, pour les classes popu­laires, ce n’est donc pas être libé­ré des tâches liées à la vie quo­ti­dienne, mais abo­lir les rap­ports de domi­na­tion ». Cela ne consiste pas uni­que­ment à se don­ner ses propres lois, comme le sug­gère l’étymologie : « Sous ce sens juri­di­co-poli­tique, il y a désor­mais une signi­fi­ca­tion maté­rielle : “pour­voir à ses propres besoins”. Par­ler d’autonomie ali­men­taire ou éner­gé­tique, c’est en effet vou­loir reprendre ses condi­tions de vie en main. » Mais cette concep­tion de la liber­té comme auto­no­mie devra pas­ser par une culture du conflit qui ne cherche pas à fuir la conflic­tua­li­té, mais à l’assumer tout en culti­vant les qua­li­tés humaines per­met­tant d’en désa­mor­cer le poten­tiel. Un ouvrage essen­tiel qui vient poser des balises là où règne la confu­sion autour du concept de liber­té, mais qui indique aus­si simul­ta­né­ment qu’il ne suf­fi­ra pas de se reti­rer du sys­tème pour le sau­ver. Loin du coli­bri et autres fadaises rela­tives aux petits gestes qui sau­ve­raient, cet opus, en sor­tant des sen­tiers bat­tus, montre clai­re­ment que le pas de côté ne suf­fi­ra pas. Et au-delà de la luci­di­té sur un sys­tème qui nous rend dépen­dant, il ouvre éga­le­ment des pistes de réflexion viables à court terme ou non sur les mesures à mettre en œuvre, indi­vi­duel­le­ment et sur­tout col­lec­ti­ve­ment pour assu­rer sa sub­sis­tance, pour rede­ve­nir auto­suf­fi­sant et auto­nome dans le cadre d’un éco­so­cia­lisme bien pen­sé. Tout en n’omettant pas, par­fois, d’inciter à pen­ser contre soi. Une vraie boussole !

Olivier Starquit

Terre et liberté
Aurélien Berlan
Editions la lenteur

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