Réimaginer le rôle de la culture

CC BY-SA/4.0 Marek Śliwecki

Dans Seule l’imagination peut nous sau­ver, un mani­feste adres­sé aux poli­tiques et aux médias, Michael De Cock, direc­teur du KVS (le théâtre royal fla­mand), nous rap­pelle toute l’importance des arts dans nos socié­tés. Celui qui est aus­si écri­vain et dra­ma­turge bilingue pro­pose un plai­doyer ambi­tieux et pro­vo­ca­teur pour mettre en avant la culture comme étant ce lien par­ti­cu­lier qui nous unit. Et pour repar­tir à la ren­contre de l’imagination, le théâtre est par­ti­cu­liè­re­ment adéquat.

Pour Michael De Cock, la culture n’est pas la cerise sur le gâteau, mais bien le fon­de­ment sur lequel se bâtit une socié­té digne et humaine. Et il n’y a rien qui soit plus à même de faire com­mu­nau­té que le théâtre. C’est même selon lui ce qui le dis­tingue des autres dis­ci­plines artis­tiques. Peut-être parce qu’il sauve avec le cou­rage du déses­poir ce qui mena­çait de se perdre à jamais ? Le théâtre est par excel­lence l’art qui vit du lien et de la ren­contre, qui croit en l’espoir, que les his­toires et la trans­mis­sion des his­toires peuvent faire bou­ger les choses. Quand on ferme les théâtres, on ferme la com­mu­nau­té. Et pour une socié­té c’est la fin.

Que peut véri­ta­ble­ment signi­fier un théâtre public pour une ville ? Pour De Cock qui dirige la plus grande ins­ti­tu­tion théâ­trale belge néer­lan­do­phone, « un théâtre ne doit pas être au ser­vice d’une car­rière ou d’une tra­jec­toire ». Il dresse le por­trait du théâtre idéal au ser­vice de la socié­té. Un théâtre où la diver­si­té des voix soit une pré­misse. Où les repré­sen­ta­tions se donnent à dif­fé­rentes heures de la jour­née pour être acces­sibles à un maxi­mum de per­sonnes. Un endroit relié à son quar­tier et ancré dans la ville. Un théâtre où la diver­si­té ne serait pas une fin en soi mais un pos­tu­lat. Et tant la diver­si­té des ori­gines que celles des âges et des genres. En somme, un théâtre où les artistes ont et prennent le temps de cher­cher, de réflé­chir et de se per­fec­tion­ner. En échange, ils et elles se coa­che­raient mutuel­le­ment, enta­me­raient un dia­logue avec le public. Et iraient de temps à autre dans les écoles pour entrai­ner les jeunes dans leur sillage et leur faire com­prendre que le théâtre pour­rait bien aus­si être pour eux et pour elles, quelles que soient leurs com­pé­tences. Pour­vu que la pas­sion y soit. Un lieu écrit-il où « l’imagination est au pou­voir et où elle ouvre des portes dans les cerveaux ».

Guérir nos imaginaires

Ces trois der­nières années, écrit Michaël de Cock, le sou­tien socié­tal en faveur de la culture s’est cruel­le­ment effri­té. On nous fait pas­ser pour une bande de pro­fi­teurs et de pro­fi­teuses. C’est extrê­me­ment nocif ; je dirais même que c’est une menace pour la démo­cra­tie ». Plus que jamais le monde cultu­rel doit donc se ras­sem­bler au niveau local, natio­nal et inter­na­tio­nal. Le théâtre est (re)devenu un endroit où l’on essaye de se recon­nec­ter aux autres. Et le KVS a tou­jours défen­du un pro­jet d’émancipation ins­crit dans le contexte d’une ville, Bruxelles, qui est une mosaïque de mino­ri­tés qu’il faut repré­sen­ter. Une mul­ti­pli­ci­té d’autant plus néces­saire qu’aujourd’hui on se dirige vers une uni­for­mi­sa­tion de la culture et une néo­li­bé­ra­li­sa­tion de plus en plus impor­tante du sec­teur. La voca­tion poli­tique du théâtre, c’est en somme un remède pour revi­go­rer et gué­rir nos imaginaires.

D’où aus­si un clair appel de l’auteur à se poli­ti­ser : « On ne peut pas être un bon artiste si l’on ne com­prend pas le contexte poli­tique et qu’on ne prend pas posi­tion. Cela fait par­tie du métier. Et si on a une once de pou­voir, on doit s’exprimer. Sinon, à quoi ser­vi­rait ce pou­voir ? Nous devons orga­ni­ser un contre-cou­rant. Un cou­rant anta­go­niste dont puissent faire par­tie le monde de la culture, la socié­té civile et les citoyens et citoyennes, qui for­me­raient ain­si une nou­velle com­mu­nau­té. » Cette néces­si­té de se diri­ger vers une culture qui ras­semble se fait sen­tir alors même que le monde fait face à des ten­dances anti­dé­mo­cra­tiques. Ou des racor­nis­se­ments comme ceux prô­nés par la N‑VA qui veulent figer l’identité flamande.

Le livre de De Cock, nous rap­pelle en fin de compte que dans le sec­teur cultu­rel, l’audace est néces­saire. Et en Bel­gique, cela com­mence par prendre le temps de connaitre ce qui se fait de l’autre côté de la fron­tière lin­guis­tique et lais­ser libre cours à toutes les ima­gi­na­tions. « C’est ce dont nous avons besoin en ces temps de conflits et de pola­ri­sa­tion » estime-t-il. Abor­dons l’imagination avec imagination ! »

Michael De Cock
Seule l’imagination peut nous sauver
Racines, 2023

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