Pour Michael De Cock, la culture n’est pas la cerise sur le gâteau, mais bien le fondement sur lequel se bâtit une société digne et humaine. Et il n’y a rien qui soit plus à même de faire communauté que le théâtre. C’est même selon lui ce qui le distingue des autres disciplines artistiques. Peut-être parce qu’il sauve avec le courage du désespoir ce qui menaçait de se perdre à jamais ? Le théâtre est par excellence l’art qui vit du lien et de la rencontre, qui croit en l’espoir, que les histoires et la transmission des histoires peuvent faire bouger les choses. Quand on ferme les théâtres, on ferme la communauté. Et pour une société c’est la fin.
Que peut véritablement signifier un théâtre public pour une ville ? Pour De Cock qui dirige la plus grande institution théâtrale belge néerlandophone, « un théâtre ne doit pas être au service d’une carrière ou d’une trajectoire ». Il dresse le portrait du théâtre idéal au service de la société. Un théâtre où la diversité des voix soit une prémisse. Où les représentations se donnent à différentes heures de la journée pour être accessibles à un maximum de personnes. Un endroit relié à son quartier et ancré dans la ville. Un théâtre où la diversité ne serait pas une fin en soi mais un postulat. Et tant la diversité des origines que celles des âges et des genres. En somme, un théâtre où les artistes ont et prennent le temps de chercher, de réfléchir et de se perfectionner. En échange, ils et elles se coacheraient mutuellement, entameraient un dialogue avec le public. Et iraient de temps à autre dans les écoles pour entrainer les jeunes dans leur sillage et leur faire comprendre que le théâtre pourrait bien aussi être pour eux et pour elles, quelles que soient leurs compétences. Pourvu que la passion y soit. Un lieu écrit-il où « l’imagination est au pouvoir et où elle ouvre des portes dans les cerveaux ».
Guérir nos imaginaires
Ces trois dernières années, écrit Michaël de Cock, le soutien sociétal en faveur de la culture s’est cruellement effrité. On nous fait passer pour une bande de profiteurs et de profiteuses. C’est extrêmement nocif ; je dirais même que c’est une menace pour la démocratie ». Plus que jamais le monde culturel doit donc se rassembler au niveau local, national et international. Le théâtre est (re)devenu un endroit où l’on essaye de se reconnecter aux autres. Et le KVS a toujours défendu un projet d’émancipation inscrit dans le contexte d’une ville, Bruxelles, qui est une mosaïque de minorités qu’il faut représenter. Une multiplicité d’autant plus nécessaire qu’aujourd’hui on se dirige vers une uniformisation de la culture et une néolibéralisation de plus en plus importante du secteur. La vocation politique du théâtre, c’est en somme un remède pour revigorer et guérir nos imaginaires.
D’où aussi un clair appel de l’auteur à se politiser : « On ne peut pas être un bon artiste si l’on ne comprend pas le contexte politique et qu’on ne prend pas position. Cela fait partie du métier. Et si on a une once de pouvoir, on doit s’exprimer. Sinon, à quoi servirait ce pouvoir ? Nous devons organiser un contre-courant. Un courant antagoniste dont puissent faire partie le monde de la culture, la société civile et les citoyens et citoyennes, qui formeraient ainsi une nouvelle communauté. » Cette nécessité de se diriger vers une culture qui rassemble se fait sentir alors même que le monde fait face à des tendances antidémocratiques. Ou des racornissements comme ceux prônés par la N‑VA qui veulent figer l’identité flamande.
Le livre de De Cock, nous rappelle en fin de compte que dans le secteur culturel, l’audace est nécessaire. Et en Belgique, cela commence par prendre le temps de connaitre ce qui se fait de l’autre côté de la frontière linguistique et laisser libre cours à toutes les imaginations. « C’est ce dont nous avons besoin en ces temps de conflits et de polarisation » estime-t-il. Abordons l’imagination avec imagination ! »
Michael De Cock
Seule l’imagination peut nous sauver
Racines, 2023