[COVID-19] Tranche de confinement en Maison de repos

Illustration : Vanya Michel

La crise sani­taire sans pré­cé­dent que nous vivons depuis mars 2020 a révé­lé l’insuffisance des moyens mis en place jusqu’à aujourd’hui par l’État pour pro­té­ger les plus vul­né­rables. Nous man­quons notam­ment de mesures visant à pro­té­ger et prendre soin de nos ainé·es les plus fra­giles socia­le­ment, qui sont aus­si celles et ceux par­mi les plus exposé·es au virus. En ces temps confi­nés, les mai­sons de repos vivent des jours très sombres puisque la moi­tié des morts de la mala­die en Bel­gique est consti­tuée par leurs résident·es, tan­dis que le per­son­nel, à l’instar d’autres métiers du soin, tra­vaillent avec des moyens déri­soires. Ce récit bio­gra­phique tente de faire sen­tir de l’intérieur ce qu’est deve­nue la vie de leurs rési­dents, entre iso­le­ment et mort qui rode mais aus­si soli­da­ri­té et espoirs.

Chambre 602, chambre d’une Mai­son de repos avec vue sur un parc, à l’intérieur d’un îlot quelque part dans une com­mune bruxel­loise. Dix-neuf m2 de confi­ne­ment, 19 m2 dans les­quels des per­sonnes âgées fra­giles, moins et plus valides vivent seules le rap­port au temps suspendu.

Même si dehors le soleil brille, le temps est pour eux bien maus­sade. Ce sont les grands « oubliés » du Covid-19. Ceux et celles qui du jour au len­de­main se sont vus inter­dire les visites de leurs familles et de leurs amis. Celles et ceux à qui on a dit : « Ne sor­tez pas de votre chambre ! ». La soli­tude est deve­nue leur amie, les rési­dents l’ont apprivoisée.

Deux rues de dis­tan­cia­tion sociale et spa­tiale avec sa fille auront suf­fi à plon­ger Chris­tiane, 83 ans, dans la peine et le cha­grin. Délo­ca­li­sée à Bruxelles pour se rap­pro­cher de ses enfants et petits-enfants, elle porte une car­rière d’infirmière de 35 ans dans un hôpi­tal tour­nai­sien à sa bou­ton­nière. Trente-cinq ans de tra­vail, au dépar­te­ment chi­rur­gie, pas­sés auprès des patients sans d’ailleurs jamais por­ter aucun masque, ni gants. La ques­tion ne se posait pas à cette époque.

Aujourd’hui, elle fait de belles ren­contres humaines par­mi le per­son­nel de la Mai­son de repos publique dans laquelle elle vit. Dans cette mai­son beau­coup de soignant·e·s, aides-soignant·e·s ou infirmier·es ont le sta­tut article 60, et sont demandeur.e.s d’asile. Ils et elles assurent ces métiers mal recon­nus et encore plus indis­pen­sable que d’habitude alors que se pro­page le virus tout autour d’eux.

Entre Ali et Mir­na, entre Hor­tense et Abdel une vie sociale interne et intense s’est ins­tal­lée. Cer­tains connaissent peu la langue fran­çaise. Sou­vent loin de leurs familles res­tées au pays, les rési­dents sont d’une cer­taine évi­dence deve­nus leur deuxième famille. Avec regrets, ils gardent un sen­ti­ment de trop peu, car le virus a inva­li­dé une grande par­tie du per­son­nel, malade, faute de tests pra­ti­qués en amont et de masques et pro­tec­tion dis­tri­bués à temps. Ils fonc­tionnent donc en équipe réduite. Et vivent avec l’incertitude, la peur au ventre de ne pou­voir reve­nir le len­de­main. Le virus les atten­dant peut-être au tour­nant. Du temps, ils n’en ont pas assez, mais ils savent y faire. Leurs sou­rires, leurs paroles récon­for­tantes tra­versent les murs confi­nés et les cou­loirs désertés.

Aujourd’hui, on sau­ra… Oui, un mois et demi après le début du confi­ne­ment, les tests sont enfin arri­vés ! Tout le per­son­nel va pou­voir en béné­fi­cier. Vien­dra ensuite le tour des résident·es. On reste dis­cret sur le nombre de rési­dents infec­tés, une aile spé­ciale Covid19 a été décré­tée au pre­mier étage de la Mai­son de Repos. Chris­tiane s’informe sur l’état de la situa­tion. Rien ne filtre, on ne sait pas. La pru­dence est bonne conseillère !

Le temps est si long. Un peu comme un signe avant-cou­reur, son hor­loge s’est arrê­tée. Si bien que le jour et la nuit se confondent par­fois dans sa tête. Quelle dif­fé­rence cela peut-il faire tous les jours sont les mêmes ou à peu près ! Le télé­phone sonne, c’est sa fille… Les pen­dules se remettent alors à l’heure.

Un aide-soi­gnant pro­pose à Chris­tiane de se connec­ter avec elle à l’aide de sa tablette. Sou­dain il y a comme un voile qui se lève, grâce à la conver­sa­tion vidéo qui les ras­semble. Quelques minutes suf­fi­ront à Chris­tiane pour échan­ger des paroles empreintes d’émotions, de déli­ca­tesse, d’affection, de des­si­ner les contours de ses proches.

Chris­tiane résiste, c’est une bat­tante. Ce n’est pas le cas d’autres rési­dents. Dans des jours meilleurs, rever­ra-t-elle Lucie, Danièle, Éli­sa­beth et bien d’autres dont elle ne connait pas encore le des­tin ? Elle l’ignore. Les murs de la rési­dence empor­te­ront sans doute avec eux leurs secrets. Ne pas savoir ce qui se passe à l’intérieur est source de beau­coup de craintes, d’illusions, d’appréciations fon­dées ou infondées.

Com­bien de per­sonnes décé­dées qui auraient pu être évi­tées, com­bien d’hospitalisation, com­bien de per­sonnes en iso­le­ment, com­bien de per­sonnes en total désar­roi, aban­don­nées, lais­sées pour compte, car sans famille ? Le confi­ne­ment en Mai­son de repos consiste-t-il à mettre (in)volontairement de côté une population ?

Dans ces méandres émo­tifs, une bonne nou­velle fait sur­face : enfin des visites vont être auto­ri­sées. Elles s’accompagnent d’un dis­po­si­tif par­ti­cu­lier fabri­qué pour l’occasion. Un peu comme une cabine d’essayage dés­in­fec­tée pou­vant être occu­pée l’espace d’une demi-heure par per­sonne. Et ce, à rai­son d’une fois par semaine.

On l’attend, la vie sociale repren­dra bien­tôt ses droits dans cette rési­dence. Certes avec énor­mé­ment de cha­leur humaine, mais aus­si avec des chaises qui res­te­ront désor­mais vides…

« Pour la première fois dans l’Histoire humaine, on fait passer la vie des individus avant l’économie. » (Boris Cyrulnik)

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