Chambre 602, chambre d’une Maison de repos avec vue sur un parc, à l’intérieur d’un îlot quelque part dans une commune bruxelloise. Dix-neuf m2 de confinement, 19 m2 dans lesquels des personnes âgées fragiles, moins et plus valides vivent seules le rapport au temps suspendu.
Même si dehors le soleil brille, le temps est pour eux bien maussade. Ce sont les grands « oubliés » du Covid-19. Ceux et celles qui du jour au lendemain se sont vus interdire les visites de leurs familles et de leurs amis. Celles et ceux à qui on a dit : « Ne sortez pas de votre chambre ! ». La solitude est devenue leur amie, les résidents l’ont apprivoisée.
Deux rues de distanciation sociale et spatiale avec sa fille auront suffi à plonger Christiane, 83 ans, dans la peine et le chagrin. Délocalisée à Bruxelles pour se rapprocher de ses enfants et petits-enfants, elle porte une carrière d’infirmière de 35 ans dans un hôpital tournaisien à sa boutonnière. Trente-cinq ans de travail, au département chirurgie, passés auprès des patients sans d’ailleurs jamais porter aucun masque, ni gants. La question ne se posait pas à cette époque.
Aujourd’hui, elle fait de belles rencontres humaines parmi le personnel de la Maison de repos publique dans laquelle elle vit. Dans cette maison beaucoup de soignant·e·s, aides-soignant·e·s ou infirmier·es ont le statut article 60, et sont demandeur.e.s d’asile. Ils et elles assurent ces métiers mal reconnus et encore plus indispensable que d’habitude alors que se propage le virus tout autour d’eux.
Entre Ali et Mirna, entre Hortense et Abdel une vie sociale interne et intense s’est installée. Certains connaissent peu la langue française. Souvent loin de leurs familles restées au pays, les résidents sont d’une certaine évidence devenus leur deuxième famille. Avec regrets, ils gardent un sentiment de trop peu, car le virus a invalidé une grande partie du personnel, malade, faute de tests pratiqués en amont et de masques et protection distribués à temps. Ils fonctionnent donc en équipe réduite. Et vivent avec l’incertitude, la peur au ventre de ne pouvoir revenir le lendemain. Le virus les attendant peut-être au tournant. Du temps, ils n’en ont pas assez, mais ils savent y faire. Leurs sourires, leurs paroles réconfortantes traversent les murs confinés et les couloirs désertés.
Aujourd’hui, on saura… Oui, un mois et demi après le début du confinement, les tests sont enfin arrivés ! Tout le personnel va pouvoir en bénéficier. Viendra ensuite le tour des résident·es. On reste discret sur le nombre de résidents infectés, une aile spéciale Covid19 a été décrétée au premier étage de la Maison de Repos. Christiane s’informe sur l’état de la situation. Rien ne filtre, on ne sait pas. La prudence est bonne conseillère !
Le temps est si long. Un peu comme un signe avant-coureur, son horloge s’est arrêtée. Si bien que le jour et la nuit se confondent parfois dans sa tête. Quelle différence cela peut-il faire tous les jours sont les mêmes ou à peu près ! Le téléphone sonne, c’est sa fille… Les pendules se remettent alors à l’heure.
Un aide-soignant propose à Christiane de se connecter avec elle à l’aide de sa tablette. Soudain il y a comme un voile qui se lève, grâce à la conversation vidéo qui les rassemble. Quelques minutes suffiront à Christiane pour échanger des paroles empreintes d’émotions, de délicatesse, d’affection, de dessiner les contours de ses proches.
Christiane résiste, c’est une battante. Ce n’est pas le cas d’autres résidents. Dans des jours meilleurs, reverra-t-elle Lucie, Danièle, Élisabeth et bien d’autres dont elle ne connait pas encore le destin ? Elle l’ignore. Les murs de la résidence emporteront sans doute avec eux leurs secrets. Ne pas savoir ce qui se passe à l’intérieur est source de beaucoup de craintes, d’illusions, d’appréciations fondées ou infondées.
Combien de personnes décédées qui auraient pu être évitées, combien d’hospitalisation, combien de personnes en isolement, combien de personnes en total désarroi, abandonnées, laissées pour compte, car sans famille ? Le confinement en Maison de repos consiste-t-il à mettre (in)volontairement de côté une population ?
Dans ces méandres émotifs, une bonne nouvelle fait surface : enfin des visites vont être autorisées. Elles s’accompagnent d’un dispositif particulier fabriqué pour l’occasion. Un peu comme une cabine d’essayage désinfectée pouvant être occupée l’espace d’une demi-heure par personne. Et ce, à raison d’une fois par semaine.
On l’attend, la vie sociale reprendra bientôt ses droits dans cette résidence. Certes avec énormément de chaleur humaine, mais aussi avec des chaises qui resteront désormais vides…
« Pour la première fois dans l’Histoire humaine, on fait passer la vie des individus avant l’économie. » (Boris Cyrulnik)