À défaut d’autres bénéfices évidents, il y a un grand avantage à vivre « en live » avec une pandémie : celui d’élargir notre vocabulaire. Du lazaret au pangolin, du prélèvement nasopharingé à la monnaie hélicoptère ou à la pathocénose, j’en retiens que l’on peut tout confiner sauf le cerveau. Et saluons, au passage, le grand retour du langage des signes, devenu en quelques semaines un incontournable de la communication politique.
Soit le vocable zoonose, qui signifie une maladie ou une infection dont les agents pathogènes se transmettent naturellement d’un animal à un être humain et vice-versa. Créé au 19e siècle, il provient de l’association de zôon, animal en grec, et de nosos, maladie.
En citoyen curieux, je vais m’informer sur le site du SPF Santé publique qui délivre quelques exemples de zoonoses : grippe aviaire, salmonelle, maladie du sommeil, toxoplasmose, ténia du chien ou mycoses. En regard de l’actualité, le site a un léger côté rachitique question infos. Obstiné, je poursuis donc ma recherche. Du Wikipédia et « l’infectiologie pour les nuls » en bactéries, microbes et autres bacilles…
Et voici, en deux clics, la fastidieuse liste des maladies infectieuses transmises par l’animal, rien qu’à partir du siècle passé. A faire pâlir La Peste de Camus, Virus de Cook ou Le Fléau de King. Contagion de Soderbergh en vrai. Accrochez-vous. Turbulences médicales garanties :
- 1918 – 19 : Grippe espagnole via le porc (entre 20 et 50 millions de morts)
- 1956 – 58 : Grippe asiatique via le cochon (entre 1 et 3 millions de morts)
- 1968 – 70 : Grippe de Hongkong via le cochon (1 million morts)
- depuis 1976 : Ebola via la chauve-souris (plus de 11 000 morts)
- depuis 1980 : Dengue via le moustique (25 000 morts par an)
- depuis 1981 : Sida (VIH) via le chimpanzé (35 millions de morts à ce jour)
- depuis 1997 : Grippe aviaire (H5N1) via le cochon (329 morts)
- depuis 1999 : Fièvre du Nil occidental via le moustique (plus au moins 1 000 morts en Europe)
- depuis 2002 – 2003 : SRAS via la civette (774 morts)
- depuis 2005 : Chikungunya via le moustique (203 morts à la Réunion)
- depuis 2009 – 2010 : Grippe pandémique A (H1N1) via le cochon (18 500 morts)
- depuis 2012 : MERS via le dromadaire (850 morts)
- depuis 2013 : Zika via le singe (chiffres de la létalité inconnus)
- depuis 2019 : SARS — Covid‑2 (virus qui provoque la maladie appelée Covid 19) via la chauve-souris et le pangolin (plus de 200 000 morts à l’heure où j’écris ces lignes…)
Bref, on l’aura compris, le sauvage a été délogé de ses biotopes naturels par l’intensivité de l’action humaine qui a provoqué une recrudescence des zoonoses émergentes : « agriculture intensive, élevage intensif, déforestation intensive, anthropisation intensive des paysages ». En y ajoutant une hausse significative de la démographie et de la mobilité internationale. Résultat ? « Quatre ou cinq maladies infectieuses émergent chaque année dans le monde »1. Comme l’exprime le chasseur de virus, Frédéric Keck, le Covid est « une maladie d’une société pastorale et domestique dont il faut assumer le sacrifice de beaucoup de gens qui vont mourir ». Désormais, tous les quatre ou cinq ans, nous serons confrontés à un nouvel épisode de la guerre immémoriale entre l’homme et le microbe.
Car ce conflit remonte à la nuit des temps. Les poux, les puces et les moustiques ont brisé des empires. Exit, parmi tant d’autres, et avec « l’aide » des Espagnols, les Incas et les Aztèques. La rougeole, la scarlatine et la peste ont été des tueuses de masse. « Mais la sélection naturelle a fait survivre les populations génétiquement résistantes et les microbes les moins virulents, ceux qui peuvent se reproduire dans leur hôte sans le tuer » analyse le journaliste Laurent Testot2.
En fait, l’homme a passé un pacte avec l’invisible, garantissant une fragile coexistence entre l’agent pathogène et lui. C’est ce que, dans le langage savant, on nomme la pathocénose, une zone d’infection où prospère un équilibre entre le parasite et la population contaminée. Mais pour des raisons le plus souvent écosystémiques, des déséquilibres peuvent survenir. Ainsi, la traite négrière emportera, dans sa tragique déportation, le paludisme et la fièvre jaune. Comme le rappelle Erik Orsenna, le moustique jouera alors un rôle majeur dans la géopolitique3. En 1655, les Anglais le paieront cher dans leur échec de conquête de la Jamaïque quand, lors de la saison des pluies, les moustiques dévorent leurs soldats. Ou, quand, des siècles après, une piqûre de pou en Pologne, en 1812, véhiculera le typhus dans l’armée impériale de Napoléon lors de sa tentative de conquête de la Russie.
Comme l’affirme le philosophe roumain Emil Cioran dans une terrible prophétie : « L’homme est un animal qui a trahi et l’Histoire est sa sentence ». Ces zoonoses successives nous condamnent à reconfigurer nos relations avec « nos frères d’en bas », tel que le disait Clemenceau. Contrairement à ce qu’affirmait René Descartes, l’animal est bien pourvu de sensibilité, de langage, de pudeur, ou de rire. Les travaux d’éthologie de Vinciane Despret l’illustrent magnifiquement.
Il s’agit donc bien, en ces moments si singuliers où les dauphins dansent dans les canaux de Venise, où les orques s’ébattent au large de Marseille, de réensauvager le monde comme le plaide avec brio Virginie Maris4.
Car l’entraide, sur fond de compétition, première leçon du biomimétisme, entre l’humain et l’animal, ne vieillira jamais. Comme le homard. Mieux comme certaines espèces de méduses, qui, incroyable mais vrai, rajeunissent au fil du temps. Les enseignements du marché humide de Wuhan apparaissent décidément inépuisables…
« Le Parlement des animaux se rassembla afin de faire le point sur la question sensible de l’extinction de l’espèce humaine qui paraissait désormais inéluctable. ''A moins que nous ne mobilisions promptement toutes nos énergies pour assurer sa survie'', parvint à articuler le renard. Et du fond des océans au plus haut du ciel, de tous les étages de la création, partit un immense éclat de rire ». (Eric Chevillard)