[COVID-19] Anatomie de la zoonose

Par Jean Cornil

Illustration : Vanya Michel

À défaut d’autres béné­fices évi­dents, il y a un grand avan­tage à vivre « en live » avec une pan­dé­mie : celui d’élargir notre voca­bu­laire. Du laza­ret au pan­go­lin, du pré­lè­ve­ment naso­pha­rin­gé à la mon­naie héli­co­ptère ou à la patho­cé­nose, j’en retiens que l’on peut tout confi­ner sauf le cer­veau. Et saluons, au pas­sage, le grand retour du lan­gage des signes, deve­nu en quelques semaines un incon­tour­nable de la com­mu­ni­ca­tion politique.

Soit le vocable zoo­nose, qui signi­fie une mala­die ou une infec­tion dont les agents patho­gènes se trans­mettent natu­rel­le­ment d’un ani­mal à un être humain et vice-ver­sa. Créé au 19e siècle, il pro­vient de l’association de zôon, ani­mal en grec, et de nosos, mala­die.

En citoyen curieux, je vais m’informer sur le site du SPF San­té publique qui délivre quelques exemples de zoo­noses : grippe aviaire, sal­mo­nelle, mala­die du som­meil, toxo­plas­mose, ténia du chien ou mycoses. En regard de l’actualité, le site a un léger côté rachi­tique ques­tion infos. Obs­ti­né, je pour­suis donc ma recherche. Du Wiki­pé­dia et « l’infectiologie pour les nuls » en bac­té­ries, microbes et autres bacilles…

Et voi­ci, en deux clics, la fas­ti­dieuse liste des mala­dies infec­tieuses trans­mises par l’animal, rien qu’à par­tir du siècle pas­sé. A faire pâlir La Peste de Camus, Virus de Cook ou Le Fléau de King. Conta­gion de Soder­bergh en vrai. Accro­chez-vous. Tur­bu­lences médi­cales garanties :

  • 1918 – 19 : Grippe espa­gnole via le porc (entre 20 et 50 mil­lions de morts)
  • 1956 – 58 : Grippe asia­tique via le cochon (entre 1 et 3 mil­lions de morts)
  • 1968 – 70 : Grippe de Hong­kong via le cochon (1 mil­lion morts)
  • depuis 1976 : Ebo­la via la chauve-sou­ris (plus de 11 000 morts)
  • depuis 1980 : Dengue via le mous­tique (25 000 morts par an)
  • depuis 1981 : Sida (VIH) via le chim­pan­zé (35 mil­lions de morts à ce jour)
  • depuis 1997 : Grippe aviaire (H5N1) via le cochon (329 morts)
  • depuis 1999 : Fièvre du Nil occi­den­tal via le mous­tique (plus au moins 1 000 morts en Europe)
  • depuis 2002 – 2003 : SRAS via la civette (774 morts)
  • depuis 2005 : Chi­kun­gu­nya via le mous­tique (203 morts à la Réunion)
  • depuis 2009 – 2010 : Grippe pan­dé­mique A (H1N1) via le cochon (18 500 morts)
  • depuis 2012 : MERS via le dro­ma­daire (850 morts)
  • depuis 2013 : Zika via le singe (chiffres de la léta­li­té inconnus)
  • depuis 2019 : SARS — Covid‑2 (virus qui pro­voque la mala­die appe­lée Covid 19) via la chauve-sou­ris et le pan­go­lin (plus de 200 000 morts à l’heure où j’écris ces lignes…)

Bref, on l’aura com­pris, le sau­vage a été délo­gé de ses bio­topes natu­rels par l’intensivité de l’action humaine qui a pro­vo­qué une recru­des­cence des zoo­noses émer­gentes : « agri­cul­ture inten­sive, éle­vage inten­sif, défo­res­ta­tion inten­sive, anthro­pi­sa­tion inten­sive des pay­sages ». En y ajou­tant une hausse signi­fi­ca­tive de la démo­gra­phie et de la mobi­li­té inter­na­tio­nale. Résul­tat ? « Quatre ou cinq mala­dies infec­tieuses émergent chaque année dans le monde »1. Comme l’exprime le chas­seur de virus, Fré­dé­ric Keck, le Covid est « une mala­die d’une socié­té pas­to­rale et domes­tique dont il faut assu­mer le sacri­fice de beau­coup de gens qui vont mou­rir ». Désor­mais, tous les quatre ou cinq ans, nous serons confron­tés à un nou­vel épi­sode de la guerre immé­mo­riale entre l’homme et le microbe.

Car ce conflit remonte à la nuit des temps. Les poux, les puces et les mous­tiques ont bri­sé des empires. Exit, par­mi tant d’autres, et avec « l’aide » des Espa­gnols, les Incas et les Aztèques. La rou­geole, la scar­la­tine et la peste ont été des tueuses de masse. « Mais la sélec­tion natu­relle a fait sur­vivre les popu­la­tions géné­ti­que­ment résis­tantes et les microbes les moins viru­lents, ceux qui peuvent se repro­duire dans leur hôte sans le tuer » ana­lyse le jour­na­liste Laurent Tes­tot2.

En fait, l’homme a pas­sé un pacte avec l’invisible, garan­tis­sant une fra­gile coexis­tence entre l’agent patho­gène et lui. C’est ce que, dans le lan­gage savant, on nomme la patho­cé­nose, une zone d’infection où pros­père un équi­libre entre le para­site et la popu­la­tion conta­mi­née. Mais pour des rai­sons le plus sou­vent éco­sys­té­miques, des dés­équi­libres peuvent sur­ve­nir. Ain­si, la traite négrière empor­te­ra, dans sa tra­gique dépor­ta­tion, le palu­disme et la fièvre jaune. Comme le rap­pelle Erik Orsen­na, le mous­tique joue­ra alors un rôle majeur dans la géo­po­li­tique3. En 1655, les Anglais le paie­ront cher dans leur échec de conquête de la Jamaïque quand, lors de la sai­son des pluies, les mous­tiques dévorent leurs sol­dats. Ou, quand, des siècles après, une piqûre de pou en Pologne, en 1812, véhi­cu­le­ra le typhus dans l’armée impé­riale de Napo­léon lors de sa ten­ta­tive de conquête de la Russie.

Comme l’affirme le phi­lo­sophe rou­main Emil Cio­ran dans une ter­rible pro­phé­tie : « L’homme est un ani­mal qui a tra­hi et l’Histoire est sa sen­tence ». Ces zoo­noses suc­ces­sives nous condamnent à recon­fi­gu­rer nos rela­tions avec « nos frères d’en bas », tel que le disait Cle­men­ceau. Contrai­re­ment à ce qu’affirmait René Des­cartes, l’animal est bien pour­vu de sen­si­bi­li­té, de lan­gage, de pudeur, ou de rire. Les tra­vaux d’éthologie de Vin­ciane Des­pret l’illustrent magnifiquement.

Il s’agit donc bien, en ces moments si sin­gu­liers où les dau­phins dansent dans les canaux de Venise, où les orques s’ébattent au large de Mar­seille, de réen­sau­va­ger le monde comme le plaide avec brio Vir­gi­nie Maris4.

Car l’entraide, sur fond de com­pé­ti­tion, pre­mière leçon du bio­mi­mé­tisme, entre l’humain et l’animal, ne vieilli­ra jamais. Comme le homard. Mieux comme cer­taines espèces de méduses, qui, incroyable mais vrai, rajeu­nissent au fil du temps. Les ensei­gne­ments du mar­ché humide de Wuhan appa­raissent déci­dé­ment inépuisables…

  1. Chiffres et cita­tions de Eric Leroy et Jean-Fran­çois Gué­gan, Dos­sier du Point du 16 avril 2019.
  2. Laurent Tes­tot, Cata­clysmes, Payot, 2017. 
  3. Erik Orsen­na, Géo­po­li­tique du mous­tique, Fayard, 2017.
  4. Vir­gi­nie Maris, La part sau­vage du monde, Seuil, 2018.

« Le Parlement des animaux se rassembla afin de faire le point sur la question sensible de l’extinction de l’espèce humaine qui paraissait désormais inéluctable. ''A moins que nous ne mobilisions promptement toutes nos énergies pour assurer sa survie'', parvint à articuler le renard. Et du fond des océans au plus haut du ciel, de tous les étages de la création, partit un immense éclat de rire ». (Eric Chevillard)