[COVID-19] Au temps des cinglés

Illustration : Vanya Michel

Nul ne l’ignore plus guère : nous vivons en régime néo­li­bé­ral dont les crises endo­gènes se suc­cèdent (Bulles inter­net en 2000, Sub­primes en 2007…). Aux­quelles on peut aujourd’hui ajou­ter la crise du Covid-19. Car les scien­ti­fiques y insistent : « San­té humaine, san­té ani­male et san­té des éco­sys­tèmes sont étroi­te­ment liées, l’une ne va pas sans les autres » et rap­pellent qu’à détruire à un rythme inéga­lé (et dans une pure logique mar­chande, ajou­tons-nous) les deux der­nières, l’on ruine la pre­mière. Qu’on l’expose même, voit-on, aux plus grands dan­gers. À l’heure d’un décon­fi­ne­ment ris­qué et sous haute ten­sion, il nous faut éta­blir en quoi la crise liée à l’épidémie du Covid-19 est enfant du néo­li­bé­ra­lisme. Et éclai­rer quelles obses­sions ont gui­dé ses tenant·es tout au long de cette pre­mière séquence…

Com­men­çons par défi­nir, comme le fait Fré­dé­ric Lor­don, l’éco­no­mie « comme for­ma­tion cultu­relle de longue période, une séquence anthro­po­lo­gique his­to­rique, fabri­ca­trice d’un cer­tain type d’homme, essen­tiel­le­ment replié sur la pour­suite apeu­rée de ses inté­rêts de conser­va­tion. Et l’éthos qui vient avec : en toutes choses, cal­cu­ler égoïs­te­ment. » Au sein de ce « désastre civi­li­sa­tion­nel », le lien social tend à ne plus exis­ter que sur le mode « tari­fé » — on pour­rait mul­ti­plier les exemples. Celui de la pri­va­ti­sa­tion des Mai­sons de Repos est suf­fi­sam­ment édi­fiant en ces temps pan­dé­miques. Mais en réa­li­té cette « tran­sac­tion contrac­tuelle-mar­chande n’est au prin­cipe d’aucun lien, enten­dons autre que le lien tem­po­raire sti­pu­lé dans ses clauses, dont l’échéance est fixée par le paie­ment qui, dit très jus­te­ment l’expression, per­met de s’acquitter – c’est-à-dire de quit­ter. C’est pour­tant ce « modèle rela­tion­nel » que la socié­té […] se pro­pose de géné­ra­li­ser à tous les rap­ports humains » pré­cise le pen­seur. Dans ce monde néo­li­bé­ra­li­sé, où plus rien n’aurait à échap­per à la domi­na­tion de la valeur d’échange et du « lien » contrac­tuel, que peut-il adve­nir lorsqu’un choc pan­dé­mique surgit ?

DE L’INCURIE AU PLAT PAYS

Que l’on prenne, pour répondre, l’exemple de la Bel­gique qui, le 16 mai 2020 et pour long­temps sans doute, conti­nue de déte­nir le record mon­dial de morts par mil­lion habi­tants (784 contre 588 pour l’Espagne, 523 pour l’Italie, 513 au Royaume-Uni…) – et pas seule­ment pour des rai­sons de comp­tage exhaus­tif (seul domaine d’ailleurs où brille­rait le Royaume ?).1

Le 26 jan­vier 2020 — envi­ron un mois après que, depuis la Chine, a été lan­cée la pre­mière alerte — Mag­gie De Block déclare « bien qu’aucun cas n’ait encore été déce­lé en Bel­gique, ce n’est vrai­sem­bla­ble­ment qu’un répit »2. Mais les hôpi­taux sont pré­pa­rés, les méde­cins ont été pré­ve­nus, « nous avons pris toutes nos pré­cau­tions », ras­sure-t-elle. C’est-à-dire : aucune.

Ain­si, le 30 jan­vier 2020, alors que le virus s’est ins­tal­lé dans 18 pays et a offi­ciel­le­ment tué 170 per­sonnes en Chine, aucune recom­man­da­tion offi­cielle n’est émise. Et, pour le coup, les acti­vi­tés se pour­suivent à Brus­sels Air­port d’où, chaque année, 300.000 per­sonnes partent vers la Chine.

Le 3 février le pre­mier cas de conta­mi­na­tion est détec­té en Bel­gique, par­mi une des 9 per­sonnes rapa­triées de Wuhan, mais cela « n’a aucune impli­ca­tion pour la popu­la­tion belge » dit Ste­ven Van Gucht, chef du Ser­vice Mala­dies Virales de Scien­sa­no, ins­ti­tu­tion publique agréée comme orga­nisme de recherche par la Poli­tique scien­ti­fique fédé­rale. Et même si, dit-il, on peut s’attendre à l’apparition d’autres cas éven­tuels de conta­mi­na­tion par d’autres canaux, le viro­logue reste ras­su­rant : « Ce n’est pas grave, on a cal­cu­lé ce risque et on a pris nos pré­cau­tions. Les hôpi­taux sont prêts à réagir. »

Le 21 février, à la veille des congés du car­na­val, le site inter­net de Brus­sels Air­port com­pare le virus à une grippe et pré­cise que « le SPF San­té publique consi­dère actuel­le­ment qu’il n’y a pas de risque pour notre pays et qu’aucune mesure spé­ci­fique sup­plé­men­taire n’est requise. »

Tan­dis que le 25 février, le très res­pec­té maga­zine Science titre : « Le coro­na­vi­rus semble inar­rê­table. Que devrait faire le monde main­te­nant ? » et pré­cise par la voix de Chris­to­pher Dye, épi­dé­mio­lo­giste à Oxford que « ne pas fer­mer les entre­prises et les écoles, ne pas inter­dire les ras­sem­ble­ments, ça revient à dire, au fond, bon, on laisse ce virus se pro­pa­ger », Mag­gie De Block conti­nue de repro­cher à cer­tains méde­cins de jouer les Cas­sandre — allant même jusqu’à les trai­ter dans un tweet mépri­sant de « dra­ma­queen » le 28 février. Et, sont auto­ri­sés des évè­ne­ments de masse comme le salon de la construc­tion et de la réno­va­tion Bati­bouw (du 29 février au 8 mars, 187.000 visi­teurs) ain­si que la Foire du livre de Bruxelles (du 5 au 8 mars, 60.000 visiteurs).

L’ÉTHOS NÉOLIBÉRAL, FACTEUR DE MORBIDITÉ

À ce stade-là, début mars, soit deux mois après que le virus est appa­ru, on se demande à qui on a à faire. Une chose est sûre au moins : à des « cal­cu­la­teurs » rele­vant plei­ne­ment de l’éthos néo­li­bé­ral3. Rien n’est plus clair à cet égard que le pro­pos de Ste­ven Van Gucht — « on a cal­cu­lé ce risque » — qui passe au reste soi­gneu­se­ment sous silence le détail de l’opération : quels ont été les élé­ments mis dans la balance du cal­cul ? À n’examiner que le cas de Brus­sels Air­port, on peut en avoir une assez claire intui­tion : il n’est pas ques­tion d’arrêter les acti­vi­tés éco­no­miques (ou d’écouter les « dra­ma­queen ») d’un côté. Et de l’autre, il y aura des dégâts col­la­té­raux — humains, veut-on dire — mais que l’on mai­tri­se­ra. Il s’agit en somme d’une stra­té­gie d’immunité col­lec­tive, telle que celle que défend alors Boris John­son, mais qui ne dit pas son nom.

Quoi qu’il en soit, en plus d’individus lan­cés à la pour­suite apeu­rée de leurs inté­rêts, il semble bien que le néo­li­bé­ra­lisme fabrique aus­si des cri­mi­nels. À preuve ?

Début mars, et pour long­temps encore, la crois­sance belge des cas devient expo­nen­tielle : 34 cas détec­tés le 4 mars, 109 le 6 mars, 200 le 8 mars… Une explo­sion des cas qui n’est pas étran­gère au non-contrôle des retours de congé de Car­na­val (22 février‑1er mars). Comme l’ont rele­vé depuis des cher­cheurs de la KUL, tou­jours cités par Le Soir : « le virus n’a plus su où don­ner de la tête durant ces congés de détente ». Or, le 3 mars, Mag­gie De Block déclare à la Chambre : « Notre capa­ci­té en termes de tests est plus que suf­fi­sante » sur­es­ti­mant lar­ge­ment notre pro­pen­sion à répondre à l’urgence tan­dis que dans la fou­lée, dans une esti­ma­tion très opti­miste, son col­la­bo­ra­teur pré­cise : « Cinq pour cent de cas cri­tiques signi­fie qu’environ 700 per­sonnes seraient prises en charge par une uni­té de soins inten­sifs. Nous nous situons dans le même ordre de gran­deur qu’une grosse épi­dé­mie de grippe. ». Des cri­mi­nels et des cin­glés, plus retors que Boris John­son, mais non moins atteints…

IT’S THE ECONOMY, STUPID !

Pour­quoi ? On ne va pas se lan­cer dans une psy­cha­na­lyse sau­vage de nos « res­pon­sables ». D’autant, qu’après tout, leur état men­tal compte peu – ils pour­ront sans dif­fi­cul­té être rem­pla­cés par leurs clones atteints des mêmes patho­lo­gies idéo­lo­giques après qu’aura son­né l’heure des comptes.

Ce qui importe, à vrai dire, c’est de savoir comme un sys­tème peut struc­tu­rel­le­ment en arri­ver à faire de ces gens-là des « res­pon­sables ». Et la réponse tient pour une bonne part, sinon tout entière, dans un vieux slo­gan de cam­pagne état­su­nien, attri­bué à James Car­ville, direc­teur de cam­pagne de Bill Clin­ton en 1992 : « It’s the eco­no­my, stu­pid ! » (C’est comme ça que fonc­tionne l’économie, idiot !). De quoi mettre fin abrup­te­ment à tout rai­son­ne­ment por­tant sur autre chose que le pou­voir d’achat, le taux de chô­mage, la dette ou l’inflation. Ou, en l’espèce, sur les « dégâts col­la­té­raux »… Le 16 mai 2020, le cap des 9.000 morts a été dépas­sé en Bel­gique ? It’s the eco­no­my, stupid !

L’économie ? Par­lons-en ! L’austérité est la pièce mai­tresse des poli­tiques bud­gé­taires des pays de l’Union euro­péenne. Elle est la consé­quence directe de l’adoption du « Trai­té sur la sta­bi­li­té, la coor­di­na­tion et la gou­ver­nance » (TSCG) plus connu sous l’appellation « Pacte bud­gé­taire euro­péen » en vigueur depuis 2013 qui impose notam­ment la « règle d’or » aux États membres de l’UE. Son article 3 sti­pule que « la situa­tion bud­gé­taire des admi­nis­tra­tions publiques doit être en équi­libre ou en excé­dent ».

Or, « l’administration publique » et les « ser­vices publics » (qui tech­ni­que­ment dif­fèrent de l’administration publique mais sont sou­mis aux mêmes règles) ont pour fonc­tion prin­ci­pale de « pro­duire des ser­vices non mar­chands dans l’intérêt de la col­lec­ti­vi­té ; elle prend en charge des domaines socia­le­ment très per­ti­nents : l’environnement, la jus­tice, la lutte contre la fraude sociale et fis­cale, le bien-être », ou « l’enseignement, les trans­ports, la san­té, l’accueil de la petite enfance… » Le ser­vice public est abon­dé par les contri­bu­tions col­lec­tives (impôts, taxes, rede­vances, etc.) et il devrait en ce sens avoir un fort effet redis­tri­bu­tif. « Non mar­chand, inté­rêt de la col­lec­ti­vi­té, redis­tri­bu­tion ». Un ensemble d’obscénités pour les for­ce­nés qui enté­rinent les Trai­tés euro­péens : nos « res­pon­sables ». Qui ne conçoivent plus que puisse exis­ter autre chose qu’une éco­no­mie de l’offre, c’est-à-dire qui pri­vi­lé­gie le sec­teur pro­duc­tif, et en déduisent que les pré­lè­ve­ments les plus signi­fi­ca­tifs, comme l’impôt sur les socié­tés ou sur les grandes for­tunes, doivent sans cesse être rabo­tés voire demeu­rer inexis­tants (en Bel­gique il n’a jamais fal­lu sup­pri­mer l’ISF, une des pre­mières mesures macro­niennes : il n’a jamais exis­té). Les sommes ain­si sous­traites au finan­ce­ment des ser­vices col­lec­tifs sont sup­po­sées être inves­ties pour four­nir de l’emploi – l’insolente for­tune des action­naires nous dit ce qu’il en est en réa­li­té. De même que le « CEO Jack­pot Day » qui cette année tom­bait le 10 jan­vier et qui désigne ce jour où les patrons du Bel 20 (l’indice belge qui reprend les 20 plus grosses entre­prises cotées en bourse) gagnent le salaire annuel médian du reste des tra­vailleur-euses belges…

Outre l’enrichissement d’une petite élite, la consé­quence directe de ce détour­ne­ment de fonds est que, faute de ren­trées, la seule façon d’équilibrer les comptes du ser­vice public — l’endettement étant par Trai­té stric­te­ment pros­crit — est de dimi­nuer leur finan­ce­ment : de « ratio­na­li­ser », dit-on. On peut aus­si pri­va­ti­ser : lais­ser le lucre s’emparer de la San­té, du soin des per­sonnes âgées ou handicapées.

La mise au rebut de 6 mil­lions masques péri­més sans qu’il soit pro­cé­dé à leur rem­pla­ce­ment est un exemple abso­lu­ment typique de la « ratio­na­li­té » en vogue. Nico­las De Decker rap­pelle à cet égard dans Le Vif que « La déci­sion de détruire ces masques, dou­blée de celle de ne pas renou­ve­ler le stock, […] a été prise sous un gou­ver­ne­ment qui chas­sait les éco­no­mies bud­gé­taires, et qui avait limi­té la norme de crois­sance du bud­get des soins de san­té à 1,5 % annuels, norme plus basse que les besoins esti­més du sec­teur » — avant pan­dé­mie natu­rel­le­ment. Ces masques, vic­times de l’obsession néo­li­bé­rale pour le flux ten­du et l’idéologie du zéro stock, qui ont ensuite cruel­le­ment man­qué aux équipes soi­gnantes lors des pics d’arrivées de malades du Covid-19, et ont cau­sé des morts en leur rang par­fai­te­ment évi­tables sinon.

Outre l’état de déla­bre­ment maté­riel, l’austérité appli­quée au sec­teur public, et de la san­té en par­ti­cu­lier, a lais­sé exsangues les humain·e·s qui le font vivre : en nombre insuf­fi­sant, les soignant·e·s sont au bord de la rup­ture. Et le font savoir depuis un moment. Avec les résul­tats que l’on sait : aucun.

SAVOIR DÉTERMINER LES PRIORITÉS

La ques­tion des arbi­trages bud­gé­taires gou­ver­ne­men­taux récents est aus­si à remettre pro­fon­dé­ment en ques­tion. Ain­si, comme le sou­ligne Gabrielle Lefèvre : « En 2017 […] alors que la Ministre du bud­get Sophie Wil­mès annon­çait un bud­get pour la sécu­ri­té sociale ponc­tion­né de près d’un mil­liard (902 mil­lions) d’euros, le gou­ver­ne­ment déga­geait 9,3 mil­liards d’euros pour l’achat de maté­riel pour l’armée belge : deux fré­gates, des chas­seurs de mines, 450 véhi­cules blin­dés, des drones… et 34 avions de com­bat pour les­quels le gou­ver­ne­ment Michel a signé un contrat d’achat d’une valeur de plus de 4 mil­liards d’euros en octobre 2018. Sur la tota­li­té de leur durée de vie, ces avions cou­te­ront 12,5 mil­liards aux contri­buables belges… sans comp­ter leur uti­li­sa­tion qui chiffre à 40.000 euros l’heure de vol ». Entre s’armer contre des enne­mis qu’il nous reste à décou­vrir ou bien se pré­mu­nir d’une inévi­table zoo­nose [mala­dies d’origine ani­male], le choix a été très clair. Tout est dit ain­si de ce monde. Mais à pré­sent, que peuvent des F‑35 et autres fré­gates contre un virus dont la sur­ve­nue était loin pour­tant loin d’être impro­bable ? « De nom­breux intel­lec­tuels et res­pon­sables de san­té avaient aler­té ces der­nières années sur le risque éle­vé de pan­dé­mie dans une socié­té mon­dia­li­sée » expli­quait à BFM Busi­ness l’économiste Mickaël Man­got, qu’on ne peut pas vrai­ment soup­çon­ner de sym­pa­thies gauchistes.

De sur­croit, il ne faut pas seule­ment (mal) choi­sir son enne­mi, mais aus­si ses amis. Comme la famille Ver­donck, par exemple, grande pour­voyeuse de l’armée belge qui gère ses avoirs en « bon père de famille », à savoir sur des comptes pan­améens off­shore. Ou la socié­té Lock­heed Mar­tin, pour les F35, entiè­re­ment déte­nue par les pires fonds d’investissement de la pla­nète… et dont, annonce-t-elle fiè­re­ment, « les ventes d’armes [sont] épar­gnées par le coro­na­vi­rus ». L’action est même en hausse au sein de l’effondrement bour­sier géné­ral. Mer­ci, M’sieur Michel, tout va bien.

DÉCONFINONS, DÉCONFINONS

Neuf mille morts plus tard et dans ces condi­tions qui relèvent du délire ratio­na­li­sé, on ne s’étonnera plus de voir s’avancer un décon­fi­ne­ment, à pas qu’on nous pré­tend pru­dents, tan­dis que manquent tou­jours les tests, les masques et, dans nombre de cas, la pos­si­bi­li­té même d’appliquer les mesures sani­taires de base requises et alors qu’aucun vac­cin ne sera prêt avant longtemps.

Mais, sous l’éclairage de la sup­pli­ca­tion de « l’organisation patro­nale fla­mande Voka [qui] demande un redé­mar­rage rapide de l’économie sous peine de drame social » — on recon­nait bien là son inal­té­rable altruisme — une petite ana­lyse des sec­teurs concer­nés par la pre­mière phase de décon­fi­ne­ment ouvre bien des pers­pec­tives sur l’avenir que les cin­glés nous préparent.

L’Arrêté minis­té­riel du 17 avril 2020 « por­tant des mesures d’urgence pour limi­ter la pro­pa­ga­tion du coro­na­vi­rus COVID-19 » éta­blit — mais dis­crè­te­ment, en annexe — la liste des « com­merces, entre­prises et ser­vices pri­vés et publics qui sont néces­saires à la pro­tec­tion des besoins vitaux de la Nation et des besoins de la popu­la­tion ». Outre les évi­dences, telles « les ins­ti­tu­tions de soins médi­caux en ce com­pris les ser­vices de pré­ven­tion de san­té », on découvre que « cru­cial » signi­fie en réa­li­té « piliers de de l’économie capi­ta­liste néo­li­bé­rale » : le trans­port et la logis­tique, les éner­gies fos­siles, l’industrie chi­mique et enfin le sec­teur ban­caire et financier.

L’industrie chi­mique, par exemple, ne fait l’objet d’aucune res­tric­tion ; or la Com­mis­sion pari­taire 116 dont elle relève « fait par­tie de celles qui ont un champ de com­pé­tences extrê­me­ment large. [Elle] a pour­tant été inclue [sic] dans la liste par le gou­ver­ne­ment, sans aucune forme de limi­ta­tions, ni quant au type d’entreprise ni quant au type d’activité. Comme l’a rele­vé Robert Ver­te­neuil, pré­sident de la FGTB, cette com­mis­sion com­prend certes les entre­prises qui pro­duisent les médi­ca­ments mais elle englobe éga­le­ment des entre­prises qui fabriquent des par­fums, des chaises de jar­din ou encore des com­plé­ments ali­men­taires pour les body­buil­ders, acti­vi­tés dont il appa­rait assez évident qu’elles ne sont pas indis­pen­sables « à la pro­tec­tion des besoins vitaux de la nation et de la popu­la­tion » » comme le note Elise Der­mine. On ne le lui fait pas dire !

ET ENSUITE ?

Après que les pays, en ce com­pris la Bel­gique, ayant ten­té d’atteindre l’immunité col­lec­tive en ne pre­nant pas de mesures confi­na­toires claires ont aban­don­né cette stra­té­gie bien trop bru­tale pour être admis­sible, la plu­part des États-Nations (dont a vu la résur­gence sou­daine) ont opté pour le confi­ne­ment. Il semble, à la mi-mai 2020, que l’on assiste en Bel­gique à une décrue des admis­sions à l’hôpital et que le chiffre de moins de 100 admis­sions par jour avan­cé par le viro­logue Marc Van Ranst pour que puisse ouvrir les com­merces soit atteint et sta­bi­li­sé depuis un (court) moment. Soit.

On rouvre donc les vannes – par étapes, avec une cer­taine pru­dence, certes, mais on des­serre les mani­velles. Pas n’importe les­quelles, ni n’importe com­ment : on l’a vu, de sorte que l’on puisse « relan­cer l’économie ». En d’autres termes : pour recom­men­cer comme avant et au plus vite.

Le retour de bâton risque d’être violent. Dans la masse d’inconnues qui entoure le coro­na­vi­rus SARS-Cov‑2 (on en est tou­jours à dis­cu­ter de ses modes trans­mis­sion !), il risque fort de se pro­duire de spec­ta­cu­laires rebonds, à quoi un sys­tème sani­taire, déjà mis à mal avant et mis à genoux après la pre­mière vague, ne pour­ra pas, ou pra­ti­que­ment plus, répondre.

Dans un monde nor­mal (c’est-à-dire qui n’est pas celui des cin­glés qu’on a dési­gnés), tout com­mande d’attendre et de pen­ser à des orga­ni­sa­tions soli­daires qui puissent pal­lier pour un temps encore l’arrêt du sys­tème pro­duc­tif et veiller à la satis­fac­tion des besoins sociaux de base (loge­ment, nour­ri­ture, san­té phy­sique et psy­chique, etc.) Besoins qui d’ailleurs devraient être col­lec­ti­ve­ment déli­bé­rés. Rien d’impossible à ceci, par­ti­cu­liè­re­ment en période de confi­ne­ment où l’utilisation des ordi­na­teurs et des smart­phones par­ti­cu­liers a pris une impor­tance sans doute jamais égalée.

Quant à l’éventuelle reprise de l’appareil pro­duc­tif, elle devrait elle aus­si pas­ser à la mou­li­nette de la déli­bé­ra­tion citoyenne selon des cri­tères sociaux, envi­ron­ne­men­taux, etc. Il ne devrait ain­si plus être ques­tion de pou­voir un jour consi­dé­rer l’industrie auto­mo­bile comme « cru­ciale » (au contraire de ce qu’a fait l’Italie). Comme le dit fort bien la Contri­bu­tion au plan de sor­tie de crise, remise d’initiative par les membres de la Conven­tion Citoyenne pour le Cli­mat fran­çaise4 : « Les évè­ne­ments que nous vivons aujourd’hui remettent en cause nos manières de se nour­rir, de se dépla­cer, de se loger, de tra­vailler, de pro­duire et de consom­mer. Nos modes de vie sont bou­le­ver­sés et nous inter­rogent sur nos prio­ri­tés, nos besoins, et nos com­por­te­ments quo­ti­diens. Nous sou­hai­tons que la sor­tie de crise qui s’organise sous l’impulsion des pou­voirs publics ne soit pas réa­li­sée au détri­ment du cli­mat, de l’humain et de la bio­di­ver­si­té. Cette crise nous concerne tous et ne sera réso­lue que grâce à un effort com­mun, impli­quant les citoyens dans la pré­pa­ra­tion et la prise de déci­sion. »

Encore faut-il impo­ser cette parole citoyenne et ses inten­tions. Encore faut-il donc et, dès main­te­nant, construire un rap­port de forces. Puis­sant et qu’amplifiera peut- le moment où les res­pon­sables ren­dront les comptes, auquel cas la fac­ture sera salée pour le capi­ta­lisme néo­li­bé­ral, ses béné­fi­ciaires et les fon­dus qui leur servent de ner­vis. C’est tout le bien qu’on leur souhaite.

  1. L’actualisation jour­na­lière des chiffres et don­nées est dis­po­nible sur le « Live » du jour­nal Le Monde.fr dédié au Coronavirus.
  2. Les don­nées liées à la chro­no­lo­gie belge et aux dif­fé­rentes décla­ra­tions de nos res­pon­sables qui suivent – sauf indi­ca­tions contraires – sont issues de l’ar­ticle « Banale grippe le 3 mars, qua­ran­taine géné­ra­li­sée le 14 : his­toire belge d’une pan­dé­mie » publié par Le Soir.
  3. L’éthos est l’ensemble des prin­cipes moraux qui orientent les pratiques.
  4. « La Conven­tion Citoyenne pour le Cli­mat, expé­rience démo­cra­tique inédite en France, a pour voca­tion de don­ner la parole aux citoyens et citoyennes pour accé­lé­rer la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique. Elle a pour man­dat de défi­nir une série de mesures per­met­tant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émis­sions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rap­port à 1990) dans un esprit de jus­tice sociale. Déci­dée par le Pré­sident de la Répu­blique, elle réunit cent-cin­quante per­sonnes, toutes tirées au sort ; elle illustre la diver­si­té de la socié­té fran­çaise ». À noter que les membres, tiré·es au sort, de cette com­mis­sion, ont réus­si à résis­ter aux fortes pres­sions de l’exécutif qui sou­hai­tait n’en faire qu’un gad­get démo­cra­tique inof­fen­sif et un sou­tien au capi­ta­lisme vert dans ses conclu­sions. Lien de la CCC ici pour en savoir plus et texte de la Contri­bu­tion au plan de sor­tie de crise télé­char­geable .

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