J’ai voulu sans tarder vous faire part des analyses de Jérôme Fourquet dans « L’archipel français »1 paru au printemps dernier, qui m’ont captivées. Il y a quelques mois, j’avais entendu parler de ce livre et lu vaguement quelques critiques. Victime de mes préjugés, je le rangeai dans la catégorie des essais français de saison redondants et superficiels. Je me trompais totalement. Il s’agit au contraire d’un passionnant décryptage de statistiques qui révèle un véritable basculement anthropologique. De la sociologie comme on en rêve.
Que nous démontre le regard intense de Fourquet sur les comportements des français ? Une métamorphose radicale des nouvelles générations sur quelques décennies dont témoignent notamment :
La dislocation de la matrice catholique : effondrements du nombre de baptêmes et des inhumations au profit des crémations ; déclin des prénoms, ces marqueurs culturels décisifs, Marie et Jean et généralisation de prénoms comme Kevin et Dylan ; la banalisation du dimanche : de la messe à Ikea ; des naissances hors mariage devenues la norme ; de l’IVG entrée dans les mœurs ; de la décrispation sur l’homosexualité et de l’ouverture à de nouveaux droits ; de la banalisation du tatouage, de la nette évolution du statut de l’animal, …
La défiance vis-à-vis du cadre intellectuel cartésien : remise en question des données scientifiques, adhésion aux thèses complotistes, méfiance vis-à-vis des vaccins,…
La dislocation de la matrice culturelle commune et l’affaiblissement du brassage social : démultiplication des prénoms, forte densité des cadres vivants au cœur des villes, fin du service militaire, lent déclin des colonies de vacances, exil fiscal et internationalisation des élites, clivage socio-économique de plus en plus manifeste au sein des partis politiques, accroissement des fractures territoriales, pénétration de la culture anglo-saxonne de masse dans les milieux populaires, perte d’influence des grands mass-médias,
Bien sûr bien des éléments repris en vrac ci-dessus sont connus et sujets à de multiples interprétations. Le grand mérite de Fourquet est, à mon sens, de les avoir reliés et mis en perspective dans une analyse globale au travers d’indicateurs extrêmement variés. Jusqu’à leur difficile traduction sur le plan politique avec les multiples recompositions électorales, qui passent, par exemple, de la rassurante opposition gauche/droite à « la logique de fond du clivage gagnants-ouverts/perdants-fermés de plus en plus prégnant ».
Il me parait enfin que cette somme d’indicateurs et leur mise en perspective, même au travers d’analyses sommaires, représentent des savoirs de haute pertinence pour l’éducation populaire. Certes, il s’agit de la France et des enquêtes partielles ont été réalisées en Wallonie et à Bruxelles….mais l’intuition me guide vers des tendances potentiellement similaires en attendant d’être éventuellement contredit par de véritables enquêtes sociologiques, attendues impatiemment et susceptibles d’être mise en miroir avec les évolutions en Flandre, à l’heure des interrogations sur le destin du plat pays.