Où et comment a grandi Jan Bucquoy ?
Je suis né en 1945 et j’ai grandi à Harelbeke, près de Courtrai. A cette époque, on envoyait les Flamands à Mouscron ou à Comines pour apprendre le français car c’était la langue dominante. Je l’ai appris à l’âge de 12 ans. A 18 ans à peine je faisais du happening à Harelbeke. Puis, à 22 ans, je suis parti voyager en France. J’y ai étudié la linguistique, la phonétique expérimentale. J’ai vécu Mai 68, les Comités Vietnam et les manifestations en faveur de la contraception. Je suis rentré en Belgique en 1969. J’ai continué mes études à l’Université de Gand puis j’ai fait l’Insas. Je me suis inscrit dans un parti politique mais on m’a mis dehors au bout d’une semaine car je posais des questions inhabituelles… J’étais trop dérangeant.
Tu viens d’une famille militante ?
Mon père était antiroyaliste. Le père c’est la loi ! J’ai donc suivi la loi. Il votait communiste, il devait être le seul à Harelbeke. Il travaillait à Electrabel ‑Desclée de Brouwer à l’époque- l’électricité de la Flandre orientale. Ma mère était plutôt libérale mais dans le sens libre exaministe. Elle n’était pas croyante. A Harelbeke, tout le monde était catholique ! Nous étions une famille qui sortions de l’ordinaire et de la majorité bien-pensante.
Comment te situes-tu dans le monde culturel ?
Je me suis toujours situé de la même façon : animateur culturel en milieu populaire et en milieu hostile. J’emploie plein de médiums différents comme le musée, l’art plastique, les expositions, les films, le one-man-show, le happening provocateur etc.
Quand tu te places hors-système, comment est-ce que cela se passe ?
Il ne faut pas penser à cela. Il ne faut pas penser système / hors-système. Il faut continuer à pousser des portes et à organiser des projets. Cela fait maintenant une quinzaine d’années que j’essaie d’être directeur des émissions de nuits à la RTBF. L’idée, c’est de proposer un tas d’émissions avec un invité de la nuit. C’est sûr que les gens vont regarder car ce sera un peu décalé, moins normé. Il y a un réel besoin de liberté d’expression, d’être proche des gens. En s’y prenant de cette façon on peut dire et faire passer des choses très importantes.
Aujourd’hui, le public est amorphe, il existe 400 chaînes et malgré tout, les programmes ne sont pas plus intéressants que lorsqu’il y en avait qu’une ! On diffuse partout les mêmes émissions et tout est hyper contrôlé. Les créatifs n’y ont pas accès. Pourtant, à ses touts débuts, la RTBF a commencé avec des créatifs, des gens issus du théâtre. Des journalistes et animateurs comme Paul Danblon ou Henri Mordant venaient du monde culturel. Maintenant, ils viennent du marketing. Et c’est comme ça dans toutes les télés du monde.
Tu as toujours considéré que la culture devait être proche des gens ?
J’estime effectivement que la vie réelle des gens est mille fois plus intéressante que n’importe quel scénario de film français où on nous ressasse les problème d’un couple habitant dans un appartement près de la Tour Eiffel, une histoire complètement déconnectée de la réalité. Et pour moi si la culture a bien une fonction qu’elle ne doit pas rater, c’est celle de coller au plus près de la réalité. Je ne dis pas là quelque chose de bien nouveau mais il faut libérer la parole des gens. Il faut qu’ils se posent les bonnes questions. C’est cela qui est intéressant : agrandir les limites de l’expression libre, créer des terrains de jeux insurrectionnels où les gens peuvent s’exprimer. Ce programme-là est sans fin. La culture dire : la vie pourrait être un beau jeu, un jeu où l’on travaillerait un minimum avec un vrai droit à la paresse dans une espèce de collectivité. Le rôle de l’art passe par le déconditionnement de l’homme.
Comment analyses-tu le milieu culturel aujourd’hui ?
Nous sommes dans une espèce de lutte continue. La culture doit être plus que du divertissement. Je suis à un âge où je regarde les choses telles qu’elles sont. Le champ culturel va se déplacer vers une économie distributive, de relations, de solidarité. Selon moi, il faut indiscutablement lier les choses. Quand je réalise une expo quelque part, la première chose que j’emporte avec moi, ce sont des bières belges. Cantillon m’en donne quelques caisses. Et je fais des frites aussi. Si bien que les gens ne soupçonnent même pas que c’est moi l’artiste. Ils pensent que je suis juste un mec qui fait des frites ! Je ne conçois pas d’exposer et de me retrouver avec un mauvais verre de vin en main et d’être simple spectateur ou observateur. Il faut continuellement créer. C’est précisément sur ce concept qu’a été créé le Musée du slip. Tout le monde porte un slip, nous sommes tous égaux sur ce plan-là. J’envoie des lettres aux politiques en leur disant « Envoyez-moi votre slip, je l’exposerai ». De cette manière, tu changes le rapport de forces.
Justement le musée du slip c’est un peu surréaliste, non ?
C’est effectivement du surréalisme à la Belge. Le principe c’est de faire don d’un slip que l’on a porté et lavé ! J’ai écrit aux 19 bourgmestres de Bruxelles, afin de recevoir leur slip, j’ai déjà exposé celui de Marc-Jean Ghysels, Bourgmestre de Forest. Récemment, l’affaire du vol du slip du Bourgmestre de Bruxelles, Yvan Mayeur, a fait le tour du monde. Ce genre de chose ne peut se vivre qu’à Bruxelles ! [Rires]. Pour la petite histoire, on l’a retrouvé. Les voleurs l’ont ramené et sont partis en courant ! Les malfrats avaient un peu trop forcé sur l’alcool ! Le cadre était cassé, je l’ai donc restauré. Celui de Bert Anciaux a déjà été volé deux fois. Maintenant ce n’est plus le sien, c’est une copie…
Comment qualifies-tu ton cinéma ? Populaire ?
Faussement populaire. Mon lien narratif c’est ma vie, raconter ma vie comme une autobiographie. Le cinéma pour moi c’est ça. Je suis intéressé par le cinéma d’improvisation. C’est pour moi, un cinéma vivant, comme s’il n’était pas joué. Je ne supporte plus le cinéma « traditionnel » parce que ça sonne faux, c’est fabriqué. Aujourd’hui, je ne suis plus là-dedans. Le cinéma Belge doit revenir à Strip-Tease, c’est là sa base, son empreinte. Meyer, Frans Buyens… L’aventure n’est pas loin, elle est au coin de la rue. Tu te rends chez les gens, ils te racontent leur vie et l’aventure commence !
En termes de cinéma populaire, j’admire Michael Moore, les Monty Python. Sinon Godard ou Fellini sont mes meilleures influences. Je pense que le cinéma belge actuel est assez conventionnel, il ressemble de plus en plus au cinéma français.
Le bon cinéma belge, ce sont les vieux films : Vase de Noces de Thierry Zeno, Bande de Cons de Roland Lethem, Home Sweet Home de Benoît Lamy. Côté flamand, c’est Any Way the Wind Blows de Tom Barman qui possède une véritable identité. A contrario, je trouve qu’il n’existe pas d’identité wallonne. Le problème est là.
Quels sont tes projets actuellement ?
Mon nouveau projet télé-cinéma, c’est justement aller à la rencontre, à la recherche de cette identité. La série va s’appeller La Flèche wallonne. Je pars en bateau, je suis les cours d’eau wallons et je parle aux gens. On va commencer par la ville de La Louvière. On va filmer les gens, aller chez eux et essayer de redistribuer les richesses par le biais de la Loterie. C’est le fil conducteur. Ensuite, on invitera une vedette locale comme Freddy Tougaux, celui qui chante « Ça va d’aller ! » A côté de cela, je monte également des spectacles avec des poètes wallons comme André Stas. Ça s’appelle La Belgique sauvage. Nous l’avons déjà joué à Saint-Malo dans le cadre du Festival Étonnants Voyageurs et à Paris au Centre belge de la Fédération Wallonie-Bruxelles, à La Louvière. Ce projet me fait penser au « Voyage en Italie » de Rossellini, une espèce de procession. Rendre l’âme et l’identité wallonne est un très beau projet. Et c’est un flamand qui en est l’initiateur !
Tu as réalisé aussi des documentaires ?
Oui, celui de la fermeture de l’usine Renault à Vilvorde, ainsi qu’un film sur le Parti Tarte (Noël Godin) et le Parti Vivant de Roland Duchâtelet. Mais ce sont des films compliqués à passer à la télé. J’avais fait un parallèle entre ces deux Partis pour les élections de 1999.
Un personnage ou des personnages qui t’ont inspirés ?
Assurément Coluche, Cavanna, Reiser : ce sont des génies. La littérature c’est eux, ce n’est pas Bernard-Henri Lévy. Ce qui a changé la France, c’est Charlie Hebdo et Hara-Kiri !