Jan Bucquoy

Surréaliste et vivant

Photo : André Delier

Jan Buc­quoy aime la pro­vo­ca­tion, les femmes, le bon vin et les frites. C’est un bon vivant, un rebelle dans l’âme qui vous com­mu­nique son enthou­siasme, sa curio­si­té, ses convic­tions et ses craintes dès que l’on s’attable et s’attarde avec lui. Ren­contre avec cet homme ouvert d’esprit et pétillant au Musée du slip de Bruxelles.

Où et comment a grandi Jan Bucquoy ?

Je suis né en 1945 et j’ai gran­di à Harel­beke, près de Cour­trai. A cette époque, on envoyait les Fla­mands à Mous­cron ou à Comines pour apprendre le fran­çais car c’était la langue domi­nante. Je l’ai appris à l’âge de 12 ans. A 18 ans à peine je fai­sais du hap­pe­ning à Harel­beke. Puis, à 22 ans, je suis par­ti voya­ger en France. J’y ai étu­dié la lin­guis­tique, la pho­né­tique expé­ri­men­tale. J’ai vécu Mai 68, les Comi­tés Viet­nam et les mani­fes­ta­tions en faveur de la contra­cep­tion. Je suis ren­tré en Bel­gique en 1969. J’ai conti­nué mes études à l’Université de Gand puis j’ai fait l’Insas. Je me suis ins­crit dans un par­ti poli­tique mais on m’a mis dehors au bout d’une semaine car je posais des ques­tions inha­bi­tuelles… J’étais trop dérangeant.

Tu viens d’une famille militante ?

Mon père était anti­roya­liste. Le père c’est la loi ! J’ai donc sui­vi la loi. Il votait com­mu­niste, il devait être le seul à Harel­beke. Il tra­vaillait à Elec­tra­bel ‑Des­clée de Brou­wer à l’époque- l’électricité de la Flandre orien­tale. Ma mère était plu­tôt libé­rale mais dans le sens libre exa­mi­niste. Elle n’était pas croyante. A Harel­beke, tout le monde était catho­lique ! Nous étions une famille qui sor­tions de l’ordinaire et de la majo­ri­té bien-pensante.

Comment te situes-tu dans le monde culturel ?

Je me suis tou­jours situé de la même façon : ani­ma­teur cultu­rel en milieu popu­laire et en milieu hos­tile. J’emploie plein de médiums dif­fé­rents comme le musée, l’art plas­tique, les expo­si­tions, les films, le one-man-show, le hap­pe­ning pro­vo­ca­teur etc.

Quand tu te places hors-système, comment est-ce que cela se passe ?

Il ne faut pas pen­ser à cela. Il ne faut pas pen­ser sys­tème / hors-sys­tème. Il faut conti­nuer à pous­ser des portes et à orga­ni­ser des pro­jets. Cela fait main­te­nant une quin­zaine d’années que j’essaie d’être direc­teur des émis­sions de nuits à la RTBF. L’idée, c’est de pro­po­ser un tas d’émissions avec un invi­té de la nuit. C’est sûr que les gens vont regar­der car ce sera un peu déca­lé, moins nor­mé. Il y a un réel besoin de liber­té d’expression, d’être proche des gens. En s’y pre­nant de cette façon on peut dire et faire pas­ser des choses très importantes.

Aujourd’hui, le public est amorphe, il existe 400 chaînes et mal­gré tout, les pro­grammes ne sont pas plus inté­res­sants que lorsqu’il y en avait qu’une ! On dif­fuse par­tout les mêmes émis­sions et tout est hyper contrô­lé. Les créa­tifs n’y ont pas accès. Pour­tant, à ses touts débuts, la RTBF a com­men­cé avec des créa­tifs, des gens issus du théâtre. Des jour­na­listes et ani­ma­teurs comme Paul Dan­blon ou Hen­ri Mor­dant venaient du monde cultu­rel. Main­te­nant, ils viennent du mar­ke­ting. Et c’est comme ça dans toutes les télés du monde.

Tu as toujours considéré que la culture devait être proche des gens ?

J’estime effec­ti­ve­ment que la vie réelle des gens est mille fois plus inté­res­sante que n’importe quel scé­na­rio de film fran­çais où on nous res­sasse les pro­blème d’un couple habi­tant dans un appar­te­ment près de la Tour Eif­fel, une his­toire com­plè­te­ment décon­nec­tée de la réa­li­té. Et pour moi si la culture a bien une fonc­tion qu’elle ne doit pas rater, c’est celle de col­ler au plus près de la réa­li­té. Je ne dis pas là quelque chose de bien nou­veau mais il faut libé­rer la parole des gens. Il faut qu’ils se posent les bonnes ques­tions. C’est cela qui est inté­res­sant : agran­dir les limites de l’expression libre, créer des ter­rains de jeux insur­rec­tion­nels où les gens peuvent s’exprimer. Ce pro­gramme-là est sans fin. La culture dire : la vie pour­rait être un beau jeu, un jeu où l’on tra­vaille­rait un mini­mum avec un vrai droit à la paresse dans une espèce de col­lec­ti­vi­té. Le rôle de l’art passe par le décon­di­tion­ne­ment de l’homme.

Comment analyses-tu le milieu culturel aujourd’hui ?

Nous sommes dans une espèce de lutte conti­nue. La culture doit être plus que du diver­tis­se­ment. Je suis à un âge où je regarde les choses telles qu’elles sont. Le champ cultu­rel va se dépla­cer vers une éco­no­mie dis­tri­bu­tive, de rela­tions, de soli­da­ri­té. Selon moi, il faut indis­cu­ta­ble­ment lier les choses. Quand je réa­lise une expo quelque part, la pre­mière chose que j’emporte avec moi, ce sont des bières belges. Can­tillon m’en donne quelques caisses. Et je fais des frites aus­si. Si bien que les gens ne soup­çonnent même pas que c’est moi l’artiste. Ils pensent que je suis juste un mec qui fait des frites ! Je ne conçois pas d’exposer et de me retrou­ver avec un mau­vais verre de vin en main et d’être simple spec­ta­teur ou obser­va­teur. Il faut conti­nuel­le­ment créer. C’est pré­ci­sé­ment sur ce concept qu’a été créé le Musée du slip. Tout le monde porte un slip, nous sommes tous égaux sur ce plan-là. J’envoie des lettres aux poli­tiques en leur disant « Envoyez-moi votre slip, je l’exposerai ». De cette manière, tu changes le rap­port de forces.

Justement le musée du slip c’est un peu surréaliste, non ?

C’est effec­ti­ve­ment du sur­réa­lisme à la Belge. Le prin­cipe c’est de faire don d’un slip que l’on a por­té et lavé ! J’ai écrit aux 19 bourg­mestres de Bruxelles, afin de rece­voir leur slip, j’ai déjà expo­sé celui de Marc-Jean Ghy­sels, Bourg­mestre de Forest. Récem­ment, l’affaire du vol du slip du Bourg­mestre de Bruxelles, Yvan Mayeur, a fait le tour du monde. Ce genre de chose ne peut se vivre qu’à Bruxelles ! [Rires]. Pour la petite his­toire, on l’a retrou­vé. Les voleurs l’ont rame­né et sont par­tis en cou­rant ! Les mal­frats avaient un peu trop for­cé sur l’alcool ! Le cadre était cas­sé, je l’ai donc res­tau­ré. Celui de Bert Anciaux a déjà été volé deux fois. Main­te­nant ce n’est plus le sien, c’est une copie…

Comment qualifies-tu ton cinéma ? Populaire ?

Faus­se­ment popu­laire. Mon lien nar­ra­tif c’est ma vie, racon­ter ma vie comme une auto­bio­gra­phie. Le ciné­ma pour moi c’est ça. Je suis inté­res­sé par le ciné­ma d’improvisation. C’est pour moi, un ciné­ma vivant, comme s’il n’était pas joué. Je ne sup­porte plus le ciné­ma « tra­di­tion­nel » parce que ça sonne faux, c’est fabri­qué. Aujourd’hui, je ne suis plus là-dedans. Le ciné­ma Belge doit reve­nir à Strip-Tease, c’est là sa base, son empreinte. Meyer, Frans Buyens… L’aventure n’est pas loin, elle est au coin de la rue. Tu te rends chez les gens, ils te racontent leur vie et l’aventure commence !

En termes de ciné­ma popu­laire, j’admire Michael Moore, les Mon­ty Python. Sinon Godard ou Fel­li­ni sont mes meilleures influences. Je pense que le ciné­ma belge actuel est assez conven­tion­nel, il res­semble de plus en plus au ciné­ma français.

Le bon ciné­ma belge, ce sont les vieux films : Vase de Noces de Thier­ry Zeno, Bande de Cons de Roland Lethem, Home Sweet Home de Benoît Lamy. Côté fla­mand, c’est Any Way the Wind Blows de Tom Bar­man qui pos­sède une véri­table iden­ti­té. A contra­rio, je trouve qu’il n’existe pas d’identité wal­lonne. Le pro­blème est là.

Quels sont tes projets actuellement ?

Mon nou­veau pro­jet télé-ciné­ma, c’est jus­te­ment aller à la ren­contre, à la recherche de cette iden­ti­té. La série va s’appeller La Flèche wal­lonne. Je pars en bateau, je suis les cours d’eau wal­lons et je parle aux gens. On va com­men­cer par la ville de La Lou­vière. On va fil­mer les gens, aller chez eux et essayer de redis­tri­buer les richesses par le biais de la Lote­rie. C’est le fil conduc­teur. Ensuite, on invi­te­ra une vedette locale comme Fred­dy Tou­gaux, celui qui chante « Ça va d’aller ! » A côté de cela, je monte éga­le­ment des spec­tacles avec des poètes wal­lons comme André Stas. Ça s’appelle La Bel­gique sau­vage. Nous l’avons déjà joué à Saint-Malo dans le cadre du Fes­ti­val Éton­nants Voya­geurs et à Paris au Centre belge de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles, à La Lou­vière. Ce pro­jet me fait pen­ser au « Voyage en Ita­lie » de Ros­sel­li­ni, une espèce de pro­ces­sion. Rendre l’âme et l’identité wal­lonne est un très beau pro­jet. Et c’est un fla­mand qui en est l’initiateur !

Tu as réalisé aussi des documentaires ?

Oui, celui de la fer­me­ture de l’usine Renault à Vil­vorde, ain­si qu’un film sur le Par­ti Tarte (Noël Godin) et le Par­ti Vivant de Roland Duchâ­te­let. Mais ce sont des films com­pli­qués à pas­ser à la télé. J’avais fait un paral­lèle entre ces deux Par­tis pour les élec­tions de 1999.

Un personnage ou des personnages qui t’ont inspirés ?

Assu­ré­ment Coluche, Cavan­na, Rei­ser : ce sont des génies. La lit­té­ra­ture c’est eux, ce n’est pas Ber­nard-Hen­ri Lévy. Ce qui a chan­gé la France, c’est Char­lie Heb­do et Hara-Kiri !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

code