La malédiction des flutistes

Par Pierre Vangilbergen

 CC-BY-2.0 Ben Cappellacci

Petit retour en 1992. Le gou­ver­ne­ment Dehaene 1er prête ser­ment, le trai­té euro­péen de Maas­tricht est signé et le gar­dien de but Thi­baut Cour­tois pousse son pre­mier cri. De l’autre côté de l’Atlantique, le thrash metal amé­ri­cain, après avoir connu son apo­gée dans les années 80 — Metal­li­ca, Slayer, Anthrax et Mega­deth, la sainte qua­ter­ni­té du genre — s’essaie à de nou­velles sono­ri­tés. Metal­li­ca est alors accu­sé de vendre son âme, Mega­deth quant à lui sort son cin­quième album, Count­down to Extinc­tion, avec un mor­ceau par­ti­cu­liè­re­ment pro­phé­tique : Sym­pho­ny of Des­truc­tion.

Vingt-sept ans plus tard, au début de l’année 2019, Jair Bol­so­na­ro devient le pré­sident du Bré­sil. Pen­dant sa cam­pagne élec­to­rale, l’ex-militaire se montre notam­ment en faveur d’un retrait de son pays de l’accord de Paris sur le cli­mat. Il finit par lais­ser tom­ber cette idée. Son homo­logue amé­ri­cain, Donald Trump, tour­ne­ra lui par contre le dos au deal pari­sien, trois ans après son entrée en vigueur. Un dérè­gle­ment envi­ron­ne­men­tal ? Fou­taises ! C’est en sub­stance ce qu’aurait aus­si pu affir­mer Scott Mor­ri­son, Pre­mier ministre aus­tra­lien, alors que son ter­ri­toire a vu l’équivalent de plus de deux fois la sur­face de la Bel­gique dévo­ré par d’incontrôlables flammes. Un drame qui entraine la dis­pa­ri­tion de plu­sieurs dizaines de per­sonnes et la mort de plus d’un mil­liard d’animaux. On aurait pu aus­si évo­quer Boris John­son, Pre­mier ministre du Royaume-Uni. Et puis aus­si Bart De Wever, per­fide stra­ta­gème qui ne jure que par le chaos. Quelques exemples, par­mi d’autres.

Mais reve­nons au titre musi­cal : tel un début d’opéra, tous les ins­tru­ments s’accordent sur le la. S’abattent ensuite les lourdes gui­tares de Sym­pho­ny of Des­truc­tion et se pose le timbre rocailleux de Dave Mus­taine, lea­der du groupe : « You take a mor­tal man — And put him in control — Watch him become a god — Watch peo­ple’s heads a’roll, a’roll, a” roll »1. Sans le savoir, Mus­taine — bien qu’il ait aujourd’hui sous-enten­du avoir rejoint idéo­lo­gi­que­ment les rangs répu­bli­cains — avait écrit il y a vingt-huit ans ce qui pour­rait s’apparenter à la B.O. de ce film de série B, dont le cas­ting réunit la crème actuelle du cli­ma­tos­cep­tis­cisme poli­tique. Quand le GIEC affirme que la cryo­sphère2 et les océans sont par­ti­cu­liè­re­ment tou­chés par les chan­ge­ments cli­ma­tiques — et que donc toutes les per­sonnes sur Terre seront direc­te­ment ou indi­rec­te­ment impac­tées —, ces hommes éri­gés en déi­té aux pieds d’argile pré­fèrent enton­ner à tue-tête cette sym­pho­nie de la destruction.

« Just like the Pied Piper, Led rats through the streets, We dance like mario­nettes, Swaying to the sym­pho­ny, Of des­truc­tion ».3 Ces paroles font réfé­rence à The Pied Piper of Hame­lin, une relec­ture de la légende du joueur de flûte de Hame­lin, char­gé à l’époque de faire fuir des rats en les char­mant avec son ins­tru­ment. On peut dès lors pen­ser à ces per­son­na­li­tés de pou­voir, agis­sant à coup de déma­go­gie, tels des agi­ta­teurs de menaces et des ense­men­ceurs de peurs, qui ne peuvent inter­ve­nir que si on leur en offre la pos­si­bi­li­té. Plus de la moi­tié des grands élec­teurs ont en effet choi­si Donald Trump en 2016, déjouant les pré­vi­sions éta­blies par les ins­ti­tuts de son­dage. Même scé­na­rio l’année pas­sée pour Scott Mor­ri­son. Le par­ti de Boris John­son a raflé une majo­ri­té abso­lue à la Chambre des com­munes, son meilleur score depuis 1987. Et Bart De Wever, à lui seul, a engran­gé plus de 242.000 votes aux der­nières élec­tions régio­nales. Les marion­nettes ont elles-mêmes dési­gné leurs tireurs de ficelles.

Certain·es affirment qu’il est encore pos­sible de sau­ver notre envi­ron­ne­ment si des mesures radi­cales sont prises. D’autres empruntent les rangs de la col­lap­so­lo­gie, déclarent que nous sommes allé·es trop loin et que nous sommes à l’aube d’un écla­te­ment géné­ra­li­sé de mul­tiples crises, dont celle cli­ma­tique. Et puis… assis sur leurs aspé­ri­tés capi­ta­listes, les joueurs de flûte du rang d’en face se grattent l’entre-jambe et gloussent en éruc­tant que l’humain n’a rien à voir dans toute cette his­toire et que cette bonne vieille terre connait, tout sim­ple­ment, un tour­nant natu­rel de plus dans son évolution.

Face à une énième crise poli­tique, la Bel­gique pour­rait demain retour­ner anti­ci­pa­ti­ve­ment aux urnes. Quand vous tien­drez votre crayon rouge en main, vir­tuel­le­ment ou phy­si­que­ment, à vous de juger si vous dési­rez ensuite enton­ner, à l’unisson, la Sym­pho­ny of Des­truc­tion

  1. « Vous pre­nez un mor­tel — et vous le met­tez au pou­voir — obser­vez le deve­nir un dieu — regar­dez les têtes des gens rou­ler… rou­ler… rouler ! »
  2. Les endroits du globe ter­restre où l’eau est pré­sente à l’état solide
  3. « Tout comme Pied Piper, Qui avait conduit les rats hors des rues, Nous dan­sons comme des marion­nettes, Fre­don­nant la sym­pho­nie, de la destruction »