L’enfer est pavé de bonnes intentions.
Je continue de penser que certaines phrases toutes faites sont d’utilité publique – elles n’ont pas traversé l’Histoire pour rien – si elles nous servent à tenir en éveil un regard critique, et non pas à l’endormir dans le (langage) creux des trop-entendus.
Voilà un peu moins de 20 ans – c’est pas tant – que je traine dans les milieux artistiques, éducatifs, culturels, que ceux-ci m’interpellent, m’agitent, m’agacent et me nourrissent. Voilà un peu moins de 20 ans que je m’accroche aux mots pour essayer de comprendre ce qu’on essaye de me vendre, et surtout, ce à quoi je participe. Culturel ou socioculturel ? Existe-t-il une culture qui ne soit pas sociale (i.e. relative à la vie en collectivité, à l’appartenance à des groupes) ? Qui veut-on exclure de la culture en la spécifiant sociale ? Permanente ou populaire, l’éducation ? Qu’est-ce qui se cache sous une nuance en forme de décret ? Doit-on honnir ou bâtir le communautaire ? Qu’est-ce qui nous fait peur dans la force des liens de proximité, qu’ils soient géographiques ou culturels ? Probablement, en partie, le fait qu’ils s’opposent de plein fouet à la vision universalisante d’un pseudohumanisme mondialisé. On va me dire que je chipote sur le vocabulaire. Je ne suis pourtant pas la première ni la dernière à souligner comment ce milieu au grand cœur, ce monde progressiste, parfois esthétique, souvent engagé, se laisse régulièrement dévoyer par le lexique politiquement tendance, celui des institutions subsidiantes et autres appels à projet, celui qui est pétri de bonnes intentions.
Personne n’est à l’abri des ratés, des abus, des structures oppressives, oppressantes, historiquement excluantes et hiérarchisantes. Quelles sont les alternatives ? Rester dans le coin douillet dans l’entre-soi et éviter de balayer le monde d’un regard trop rapide en fixant son nombril ; ou bien, chercher désespérément, voire artificiellement, un public, des groupes-cibles pour s’ouvrir à la différence, s’adresser à d’autres que soi, faire participer celleux qui quelques fois n’ont rien demandé, créer un bateau irrémédiablement à notre image sans comprendre pourquoi certain·es rechignent tant à embarquer. L’entredeux est une contrée subtile à explorer. Ici, dans cette nouvelle rubrique s’exprime la volonté de construire une petite barque collective, pour naviguer sur la mare du milieu, sans avoir peur d’y jeter l’un ou l’autre pavé – à défaut de les battre –, au risque de faire des vagues et de rendre le monde, ou du moins notre petit monde, meilleur. Ne craignons pas le danger des remous, la mise en visibilité sans complaisance de nos fragilités au moment de chaque matin nous re-demander : Qui devons-nous écouter ? De qui devrions-nous aussi apprendre ? Ne devrions-nous pas être plus souvent notre propre matière à remodeler ?
La société hiérarchise les discours et les savoirs. Elle distingue celleux qui sont sujets ou objets de nos études, de nos actions, de nos interventions. Pourtant, il existe des espaces où l’on tente de renverser la tendance. J’en mentionne ici deux avant de rendre l’antenne. bodies of knowledge (BOK) est une initiative de Sarah Vanhee avec Flore Herman datant de 2020. Il s’agit d’une classe semi-nomade, collective ou individuelle, implantée en différents points de Bruxelles. Une école valorisant des savoirs invisibilisés, la transmission de connaissances non-dominantes et/ou réprimées. Ces savoirs sont collectés auprès de personnes ayant des expériences très variées, issues de différents endroits de la société et dont les voix ne sont pas souvent entendues. Les moments de transmission privilégient ainsi des expert·es de la vie plutôt que des autorités professionnelles. Dans un registre similaire mais selon un autre protocole, l’École expérimentale, imaginée par Léa Drouet et Camille Louis avec l’atelier 210, vise à partir – je cite ou presque – des expériences plus que des expertises en invitant des personnes dont on a l’habitude de faire des « objets d’étude », des publics cibles pour nos interventions, dont les besoins souvent vitaux servent d’appâts à subvention, lesdites « minorités », « la jeunesse », « l’enfance », « les personnes âgées », « les sans-papiers »…), à prendre leur place de sujets détenteurs de savoirs singuliers, utiles à toustes, et en capacité de les transmettre, de les enseigner différemment.