Ça commence à bien faire : deux fois de suite, deux fois !, que le salon de l’auto est annulé en raison de la pandémie. À chaque fois, c’est un demi-million de personnes frustrées, et moi, pour d’autres raisons, qui me demande si je ne préfèrerais pas qu’elle ait lieu, cette grande messe populaire (et historiquement misogyne).
À vrai dire, je ne m’y suis jamais rendu. Je n’entretiens qu’un rapport fort lointain avec les « auto-mobiles ». Une étymologie fort discutable du reste : je ne me souviens guère avoir aperçu l’un de ces engins se déplaçant de lui-même – je passe sur l’épisode où, ayant oublié de serrer le frein à main, j’ai poursuivi mon véhicule soudain devenu autonome (c’est la loi de la gravité) sur plus d’une centaine de mètres. Il a fallu un arbre bienveillant pour l’arrêter, non sans quelques dégâts réciproques. Parce que oui, j’ai aussi une voiture. Allez faire autrement dans les villes et villages de province qui ne voient que passer deux bus par jour (et pas le weekend).
Mais revenons aux salons. Ces rassemblements présentent plusieurs avantages. Le premier est qu’ils sont relativement faciles à contester. Après tout la foule est captive, les médias toujours présents, et hop, une bonne petite irruption avec quelques banderoles, de la musique, des happenings, des slogans bien sentis, et on fait le buzz. Exercice dans lequel Extinction Rebellion excelle. On les aime.
Et maintenant ? Comment voulez-vous faire le tour de tous ces garages qui font salon sans salon ? Puis, c’est l’insuccès assuré en termes de sensibilisation du public : Notre garage n’accepte que deux clients en même temps.
Le second avantage est lié à la publicité. En l’absence de salon, il est impossible de sortir de chez soi sans être littéralement assailli de panneaux publicitaires, dont seul l’usage de jumelles – essayez donc en conduisant ! – vous permet d’accéder aux données relatives à la consommation et aux émissions de CO2 – les autres émanations nocives ne semblant pas exister. Et encore, les verriez-vous, qu’il y aurait tout lieu de douter. Suffit de lire sur les contrats : « Le Client reconnait et accepte que la consommation de carburant et les valeurs de CO2 indiquées sont fournies afin de permettre la comparaison des véhicules et peuvent ne pas refléter les conditions de conduite réelles. » Ou encore : « Le Client reconnait et accepte également que les valeurs de consommation de carburant et de CO2 indiquées sont sujettes à confirmation et peuvent changer au moment de l’immatriculation du véhicule. » À cause de la pose de la plaque ou quoi ? Ça, on ne sait pas.
Pourtant, allumez votre radio ou votre télévision, pas possible d’échapper au déferlement de marques, de modèles, d’avantages, de performances écologiques. Certaines marques vont jusqu’à prétendre que leur boite de conserve à roulettes peut embarquer 7,9 milliards de passagers, vers « un avenir meilleur ». Ledit véhicule prétend être à 500 % électrique ; il est rouge (mais il faut dire « Red ») pour redéfinir les missions, dont – allons‑y gaiment – « la lutte du Red contre la pandémie » (sic !). Une série de marques du groupe s’étant engagée à « verser un minimum de 4 millions de dollars au Fonds Mondial (?) pour lutter contre les urgences sanitaires » est-il précisé dans une note de bas de pub’.
Non décidément je préfère les salons : au moins tout est regroupé autour de l’« évènement » ce qui, dans une certaine mesure, nous épargne la véritable agression publicitaire dont nous sommes victimes, laquelle dans le langage de l’Écho (le journal des entrepreneurs) s’appelle « être inventif pour combler un évènement qui représente 20 à 30 % des ventes annuelles ». Ah ben là, j’sais pas si c’est inventif, mais pour le coup c’est massif…
Pour finir sur une note positive, rassurez-vous, tout va très bien : les véhicules sont hybrides, électriques, etc. et sauveront notre Planète. Bon, si on oublie que la construction de ces miracles sur roues – de l’extraction des métaux rares pour les batteries, à la fabrication de plastiques en passant par l’acheminement de toutes les pièces usinées un peu partout dans le monde pour construire le bidule qu’il faut ensuite renvoyer ailleurs –, ça pollue un peu. Mais ne chipotons pas. L’automobile est l’avenir de l’Humanité. Sauf peut-être pour les 2,3 millions de personnes qui mourront dans un accident d’ici 2030 (prévisions OMS).
Bon, je vais faire les courses. En voiture : c’est le jour des provisions.