Drame en 2022

Nouveau non-salon de l’auto

Par Jean-François Pontegnie

Illustration : Vanya Michel

Ça com­mence à bien faire : deux fois de suite, deux fois !, que le salon de l’auto est annu­lé en rai­son de la pan­dé­mie. À chaque fois, c’est un demi-mil­lion de per­sonnes frus­trées, et moi, pour d’autres rai­sons, qui me demande si je ne pré­fè­re­rais pas qu’elle ait lieu, cette grande messe popu­laire (et his­to­ri­que­ment misogyne).

À vrai dire, je ne m’y suis jamais ren­du. Je n’entretiens qu’un rap­port fort loin­tain avec les « auto-mobiles ». Une éty­mo­lo­gie fort dis­cu­table du reste : je ne me sou­viens guère avoir aper­çu l’un de ces engins se dépla­çant de lui-même – je passe sur l’épisode où, ayant oublié de ser­rer le frein à main, j’ai pour­sui­vi mon véhi­cule sou­dain deve­nu auto­nome (c’est la loi de la gra­vi­té) sur plus d’une cen­taine de mètres. Il a fal­lu un arbre bien­veillant pour l’arrêter, non sans quelques dégâts réci­proques. Parce que oui, j’ai aus­si une voi­ture. Allez faire autre­ment dans les villes et vil­lages de pro­vince qui ne voient que pas­ser deux bus par jour (et pas le weekend).

Mais reve­nons aux salons. Ces ras­sem­ble­ments pré­sentent plu­sieurs avan­tages. Le pre­mier est qu’ils sont rela­ti­ve­ment faciles à contes­ter. Après tout la foule est cap­tive, les médias tou­jours pré­sents, et hop, une bonne petite irrup­tion avec quelques ban­de­roles, de la musique, des hap­pe­nings, des slo­gans bien sen­tis, et on fait le buzz. Exer­cice dans lequel Extinc­tion Rebel­lion excelle. On les aime.

Et main­te­nant ? Com­ment vou­lez-vous faire le tour de tous ces garages qui font salon sans salon ? Puis, c’est l’insuccès assu­ré en termes de sen­si­bi­li­sa­tion du public : Notre garage n’accepte que deux clients en même temps.

Le second avan­tage est lié à la publi­ci­té. En l’absence de salon, il est impos­sible de sor­tir de chez soi sans être lit­té­ra­le­ment assailli de pan­neaux publi­ci­taires, dont seul l’usage de jumelles – essayez donc en condui­sant ! – vous per­met d’accéder aux don­nées rela­tives à la consom­ma­tion et aux émis­sions de CO2 – les autres éma­na­tions nocives ne sem­blant pas exis­ter. Et encore, les ver­riez-vous, qu’il y aurait tout lieu de dou­ter. Suf­fit de lire sur les contrats : « Le Client recon­nait et accepte que la consom­ma­tion de car­bu­rant et les valeurs de CO2 indi­quées sont four­nies afin de per­mettre la com­pa­rai­son des véhi­cules et peuvent ne pas reflé­ter les condi­tions de conduite réelles. » Ou encore : « Le Client recon­nait et accepte éga­le­ment que les valeurs de consom­ma­tion de car­bu­rant et de CO2 indi­quées sont sujettes à confir­ma­tion et peuvent chan­ger au moment de l’im­ma­tri­cu­la­tion du véhi­cule. » À cause de la pose de la plaque ou quoi ? Ça, on ne sait pas.

Pour­tant, allu­mez votre radio ou votre télé­vi­sion, pas pos­sible d’échapper au défer­le­ment de marques, de modèles, d’avantages, de per­for­mances éco­lo­giques. Cer­taines marques vont jusqu’à pré­tendre que leur boite de conserve à rou­lettes peut embar­quer 7,9 mil­liards de pas­sa­gers, vers « un ave­nir meilleur ». Ledit véhi­cule pré­tend être à 500 % élec­trique ; il est rouge (mais il faut dire « Red ») pour redé­fi­nir les mis­sions, dont – allons‑y gaiment – « la lutte du Red contre la pan­dé­mie » (sic !). Une série de marques du groupe s’étant enga­gée à « ver­ser un mini­mum de 4 mil­lions de dol­lars au Fonds Mon­dial (?) pour lut­ter contre les urgences sani­taires » est-il pré­ci­sé dans une note de bas de pub’.

Non déci­dé­ment je pré­fère les salons : au moins tout est regrou­pé autour de l’« évè­ne­ment » ce qui, dans une cer­taine mesure, nous épargne la véri­table agres­sion publi­ci­taire dont nous sommes vic­times, laquelle dans le lan­gage de l’Écho (le jour­nal des entre­pre­neurs) s’appelle « être inven­tif pour com­bler un évè­ne­ment qui repré­sente 20 à 30 % des ventes annuelles ». Ah ben là, j’sais pas si c’est inven­tif, mais pour le coup c’est massif…

Pour finir sur une note posi­tive, ras­su­rez-vous, tout va très bien : les véhi­cules sont hybrides, élec­triques, etc. et sau­ve­ront notre Pla­nète. Bon, si on oublie que la construc­tion de ces miracles sur roues – de l’extraction des métaux rares pour les bat­te­ries, à la fabri­ca­tion de plas­tiques en pas­sant par l’acheminement de toutes les pièces usi­nées un peu par­tout dans le monde pour construire le bidule qu’il faut ensuite ren­voyer ailleurs –, ça pol­lue un peu. Mais ne chi­po­tons pas. L’automobile est l’avenir de l’Humanité. Sauf peut-être pour les 2,3 mil­lions de per­sonnes qui mour­ront dans un acci­dent d’ici 2030 (pré­vi­sions OMS).

Bon, je vais faire les courses. En voi­ture : c’est le jour des provisions.