Rien qu’en 2018, le Brésil a recensé 263 000 cas de violences conjugales et 54 000 victimes de viol. Les multiples formes de violences faites aux femmes représentent, depuis beaucoup trop longtemps, un véritable cancer pour ce pays. On aurait pu pourtant apercevoir une éclaircie, il y a de cela quelques années.
En effet, conscient de ces atrocités, le gouvernement du président Lula instaure, en 2003, le Secrétariat de Politique pour les Femmes (SPM). Ce dernier possède un statut équivalent à celui d’un ministère. Trois ans plus tard sort la loi Maria da Penha, du nom de cette femme ayant subi des violences domestiques pendant ses 23 ans de mariage. Victime de deux tentatives d’assassinat, elle devient finalement paraplégique. Son époux doit purger 19 ans de prison, mais ne fait au final que deux ans ferme. Maria da Penha fait appel auprès de juridictions supranationales. Le Brésil est condamné pour son manque de législation punissant les violences domestiques.
« Féminicide ! Crime haineux ! Misogynie ! Harcèlement sexuel ! Mutilation génitale ! Androcentrisme ! Crime passionnel ! Culture du viol ! » De sa voix emplie de hargne et gorgée d’injustice, Fernanda Lira éructe ces accusations dans le morceau « Cultura Do Estupro », tels des couperets. On est alors de retour en 2018. La musicienne est encore1 la bassiste et vocaliste du groupe de Thrash brésilien Nervosa. À l’heure où elle couche ces lyrics sur le papier, cela fait déjà deux ans que le SPM s’est vu perdre son piédestal. Il n’est désormais plus qu’un secrétariat rattaché au ministère de la Justice. Quelques mois plus tard, Jair Bolsonaro devient président. Le financement du secrétariat passe de 25 millions de dollars en 2015 à 1,1 million en 2019. Selon l’homme politique — dont la misogynie n’est plus à démontrer — la lutte contre les violences conjugales n’a plus à être autant soutenue financièrement. La solution présidentielle, alors ? « Un changement d’attitude et de comportement » ainsi qu’une plus grande « prise de conscience ». Dont acte, la rage au ventre.
« On écrit toujours à propos de choses réelles, parce que la musique est simplement notre façon à nous de nous exprimer. Je ne me contente pas de cracher toute la rancœur que j’ai quand je vois de l’injustice autour de moi. J’écris également pour que les gens se mettent à réfléchir. Le changement vient nécessairement du débat et de la réflexion », explique la musicienne qui, plus d’une fois, s’est vue menacée d’un canon de fusil à quelques centimètres de son visage. L’artiste est toujours restée discrète sur les violences qu’elle a elle-même subies.
« Cultura Do Estupro », un morceau écrit en portugais afin probablement d’être compris par le plus grand nombre de personnes possible au Brésil, représente une réelle mise en joue, la tête contre le mur, à tout homme qui a pu commettre un viol. En dehors du traumatisme laissé par ce crime, il faut en effet rappeler que le Brésil limite drastiquement les conditions quant à l’accès à l’avortement. Le viol en fait partie. Mais cela nécessite donc de se rendre à la police, d’expliquer et de revivre ces moments douloureux, de porter plainte officiellement et de risquer de subir des représailles de la part de l’auteur des faits. Être victime, deux fois. Les avortements clandestins sont dès lors monnaie courante. Il faut compter aux environs de 650 dollars pour un tel acte, soit trois mois de salaire minimum au Brésil. Sans oublier les éventuelles complications médicales liées au manque d’encadrement professionnel. Et, cerise sur le gâteau : toute femme dont on découvre un avortement clandestin sera sujette à quatre ans d’emprisonnement. Tout est fait pour imposer le silence.
Alors, quand le morceau s’adresse, certes crûment, à ces « chauvinistes à la bite en main », à ces « mâles alpha chrétiens », à ces « soutiens de fascistes déments » ou encore à « ces enfoirés qui doivent pourtant avoir une mère à la maison », bien mal venue serait la personne qui pourrait lui en tenir rigueur.