Les mâles alpha du Brésil

Par Pierre Vangilbergen

Photo : Stanislas Sedov - CC BY-SA 2.0

Rien qu’en 2018, le Bré­sil a recen­sé 263 000 cas de vio­lences conju­gales et 54 000 vic­times de viol. Les mul­tiples formes de vio­lences faites aux femmes repré­sentent, depuis beau­coup trop long­temps, un véri­table can­cer pour ce pays. On aurait pu pour­tant aper­ce­voir une éclair­cie, il y a de cela quelques années.

En effet, conscient de ces atro­ci­tés, le gou­ver­ne­ment du pré­sident Lula ins­taure, en 2003, le Secré­ta­riat de Poli­tique pour les Femmes (SPM). Ce der­nier pos­sède un sta­tut équi­valent à celui d’un minis­tère. Trois ans plus tard sort la loi Maria da Pen­ha, du nom de cette femme ayant subi des vio­lences domes­tiques pen­dant ses 23 ans de mariage. Vic­time de deux ten­ta­tives d’assassinat, elle devient fina­le­ment para­plé­gique. Son époux doit pur­ger 19 ans de pri­son, mais ne fait au final que deux ans ferme. Maria da Pen­ha fait appel auprès de juri­dic­tions supra­na­tio­nales. Le Bré­sil est condam­né pour son manque de légis­la­tion punis­sant les vio­lences domes­tiques.

« Fémi­ni­cide ! Crime hai­neux ! Miso­gy­nie ! Har­cè­le­ment sexuel ! Muti­la­tion géni­tale ! Andro­cen­trisme ! Crime pas­sion­nel ! Culture du viol ! » De sa voix emplie de hargne et gor­gée d’injustice, Fer­nan­da Lira éructe ces accu­sa­tions dans le mor­ceau « Cultu­ra Do Estu­pro », tels des cou­pe­rets. On est alors de retour en 2018. La musi­cienne est encore1 la bas­siste et voca­liste du groupe de Thrash bré­si­lien Ner­vo­sa. À l’heure où elle couche ces lyrics sur le papier, cela fait déjà deux ans que le SPM s’est vu perdre son pié­des­tal. Il n’est désor­mais plus qu’un secré­ta­riat rat­ta­ché au minis­tère de la Jus­tice. Quelques mois plus tard, Jair Bol­so­na­ro devient pré­sident. Le finan­ce­ment du secré­ta­riat passe de 25 mil­lions de dol­lars en 2015 à 1,1 mil­lion en 2019. Selon l’homme poli­tique — dont la miso­gy­nie n’est plus à démon­trer — la lutte contre les vio­lences conju­gales n’a plus à être autant sou­te­nue finan­ciè­re­ment. La solu­tion pré­si­den­tielle, alors ? « Un chan­ge­ment d’attitude et de com­por­te­ment » ain­si qu’une plus grande « prise de conscience ». Dont acte, la rage au ventre.

« On écrit tou­jours à pro­pos de choses réelles, parce que la musique est sim­ple­ment notre façon à nous de nous expri­mer. Je ne me contente pas de cra­cher toute la ran­cœur que j’ai quand je vois de l’injustice autour de moi. J’écris éga­le­ment pour que les gens se mettent à réflé­chir. Le chan­ge­ment vient néces­sai­re­ment du débat et de la réflexion », explique la musi­cienne qui, plus d’une fois, s’est vue mena­cée d’un canon de fusil à quelques cen­ti­mètres de son visage. L’artiste est tou­jours res­tée dis­crète sur les vio­lences qu’elle a elle-même subies.

« Cultu­ra Do Estu­pro », un mor­ceau écrit en por­tu­gais afin pro­ba­ble­ment d’être com­pris par le plus grand nombre de per­sonnes pos­sible au Bré­sil, repré­sente une réelle mise en joue, la tête contre le mur, à tout homme qui a pu com­mettre un viol. En dehors du trau­ma­tisme lais­sé par ce crime, il faut en effet rap­pe­ler que le Bré­sil limite dras­ti­que­ment les condi­tions quant à l’accès à l’avortement. Le viol en fait par­tie. Mais cela néces­site donc de se rendre à la police, d’expliquer et de revivre ces moments dou­lou­reux, de por­ter plainte offi­ciel­le­ment et de ris­quer de subir des repré­sailles de la part de l’auteur des faits. Être vic­time, deux fois. Les avor­te­ments clan­des­tins sont dès lors mon­naie cou­rante. Il faut comp­ter aux envi­rons de 650 dol­lars pour un tel acte, soit trois mois de salaire mini­mum au Bré­sil. Sans oublier les éven­tuelles com­pli­ca­tions médi­cales liées au manque d’encadrement pro­fes­sion­nel. Et, cerise sur le gâteau : toute femme dont on découvre un avor­te­ment clan­des­tin sera sujette à quatre ans d’emprisonnement. Tout est fait pour impo­ser le silence.

Alors, quand le mor­ceau s’adresse, certes crû­ment, à ces « chau­vi­nistes à la bite en main », à ces « mâles alpha chré­tiens », à ces « sou­tiens de fas­cistes déments » ou encore à « ces enfoi­rés qui doivent pour­tant avoir une mère à la mai­son », bien mal venue serait la per­sonne qui pour­rait lui en tenir rigueur.

  1. Elle quit­te­ra la for­ma­tion le 26/04/2020.