Martin Buxant, vous êtes journaliste politique. Pourquoi avoir fait ce choix d’écrire dans un journal néerlandophone ?
Steven Samyn, un ami journaliste politique au Standaard et moi avons écrit un livre « Belgique, un roi sans pays » qui raconte un peu les coulisses du pouvoir politique du Roi. Ensuite, Steven est passé au Morgen pour en devenir chef politique. Pour ma part, cela faisait huit ans que j’étais au sein de la rédaction de La Libre Belgique. En 2011, il m’a proposé de rejoindre l’équipe du Morgen en tant que journaliste politique. Je n’ai pas hésité longtemps. Il s’agissait plutôt d’un choix humain et personnel doublé d’une envie de travailler avec ces personnes-là, de m’ouvrir à autre chose. Je commençais sérieusement à tourner en rond à La Libre. Je désirais aller de l’autre côté du miroir pour voir in situ comment cela se passait avec les amis flamands. Ce fut une expérience fantastique. Ce début novembre, je suis retourné dans la presse francophone et suis devenu éditorialiste politique à L’Écho. C’est également un fameux challenge. L’Écho étant un journal économico-financier, je vais lui apporter une dimension politique. Il veut devenir une référence en la matière. Je suis content de retrouver la langue française qui m’a énormément manquée.
Est-ce que l’on traite de la même manière l’information dans un journal flamand que dans un journal francophone ?
Concernant l’écriture, j’avais un peu sous-estimé la difficulté. En effet, les articles que je rédigeais en 20 minutes à La Libre me prenaient 2 heures au Morgen… Mais, De Morgen avait aussi les moyens de ses ambitions. C’est-à-dire que pendant deux ans, j’ai pu suivre des cours particuliers à un rythme soutenu avec une professeure hollandaise. C’était du matraquage linguistique, mais il le fallait. Ce qui a fait que mon niveau oral a très vite évolué : je pouvais par exemple parler à la VRT. Il ne faut pas se leurrer, écrire avec un certain niveau littéraire, c’est très compliqué. Heureusement que les correcteurs prenaient du temps pour corriger mes papiers.
Dans la manière de traiter l’information, la presse flamande est beaucoup plus incisive, plus mordante, plus à la recherche. La prime que l’on accorde aux scoops ou aux news, à l’information est bien plus importante que du côté francophone, où cela ronronne quelque peu. Côté flamand, ils ont beaucoup plus de moyens que du côté francophone. La presse francophone est en crise depuis des années. Par contre, la concurrence est sans merci, vous avez De Standard, De Morgen, De Tijd, les trois gros journaux de qualité qui se livrent une guerre journalistique importante, toujours en quête de la meilleure information. Dans la manière de traiter l’information, au Morgen, il y a un degré de professionnalisme très élevé. C’est-à-dire qu’il y a un suivi depuis le lancement du journal jusqu’au soir. Il existe un verrouillage, une surveillance de ce qui va figurer dans l’article. De Morgen recherche la qualité du produit final, il ne s’agit pas de réécrire ce qui a été écrit dans un autre journal. Il faut vraiment apporter de la nouveauté. On se sent parfois en liberté surveillée, mais finalement la qualité du produit est très poussée. Dans la manière de travailler, nous sommes beaucoup plus encadrés.
La rédaction du Morgen est une rédaction plus jeune ?
C’est une rédaction très jeune. J’ai 34 ans, j’étais un des papys surtout dans la rédaction des services Belgique qui s’occupent de la politique intérieure belge. Je suis passé de La Libre Belgique, un journal monarchiste, de tradition catholique (j’y suis resté près de neuf ans), à un journal républicain, progressiste de gauche engagé, militant, urbain. J’ai fait le grand saut !
Vous êtes très actif sur les réseaux sociaux notamment Twitter qui est pourtant limité par le nombre de caractères, cela ne vous pose pas de problème ? Pourquoi n’êtes-vous pas sur Facebook ?
C’est un choix. J’ai accroché à Twitter très tôt. C’est un réseau qui me correspond bien. À la fois incisif, il y a moyen d’être drôle, d’amener une réflexion, c’est souvent le point d’accroche. Je ne suis pas sur Facebook pour une raison pratique. Je n’ai pas le temps et l’énergie pour me lancer sur Facebook. J’ai aussi un a priori, j’ai l’impression qu’on y met surtout des photos de famille, de vacances. Je lui préfère Linkedin, selon moi plus professionnel, pour y rencontrer des gens, nouer des contacts professionnels. Twitter c’est un peu comme un cercle élitiste, plus orienté journalistico-politique, Facebook est plus grand public. Peut-on mettre les mêmes infos sur Twitter que sur Facebook ? Je ne pense pas, ce qui suppose que je devrais re-réfléchir, comment les écrire. Je n’ai pas encore trouvé ce temps et la manière d’entrer sur Facebook.
Comment avez-vous été perçu par les hommes politiques néerlandophones ?
Bien, car quand j’étais à La Libre, je traitais pas mal l’actualité politique flamande et donc je les connaissais déjà. Ils ont apprécié que quelqu’un ose franchir le pas et parler en néerlandais.
Vous étiez le premier dans le cas ? Il n’y avait pas de précédent ?
Non, dans la presse politique, je n’en connais pas. Le contact est vraiment bien passé. Ils sont contents aussi d’avoir un relais, c’était un partage d’informations. Cela a permis de faire bouger certains préjugés, de montrer qu’il ne fallait certainement pas me dire qu’un Wallon est paresseux… Je travaillais plus qu’eux, je ramenais plus d’informations, cela a fait tomber les masques.
Quel personnage néerlandophone le plus intéressant parce que le plus inattendu vous a marqué ?
Steven Vanackere m’a marqué de manière « négative ». J’ai beaucoup écrit sur les dérives fiscales des démocrates chrétiens flamands, l’ACW (le mouvement ouvrier chrétien flamand).
Quelqu’un a essayé de vous déstabiliser ?
Pour tout ce qui concerne le fisc, nous avons subi beaucoup de pression, le sujet est très délicat. L’ACW est une énorme machine qui contrôle tous les lobbyings. Nous avons assisté au recul de l’ACW, il faisait de la haute finance, en effet, il plaçait de l’argent dans les paradis off-shore, ce n’est pas éthique.
Ces gens qui se présentaient un peu comme les parents de la morale et de la vertu en disant qu’il ne fallait pas utiliser les intérêts notionnels, étaient les premiers à avoir recours à des mécanismes d’ingénierie fiscale que par ailleurs ils dénonçaient !
Celui qui m’a marqué, je pourrais dire Bart De Wever, mais je le connaissais d’avance. Je travaillais déjà avec lui à La Libre Belgique. Il reste égal à lui-même. Il a juste une aversion pour De Morgen car c’est tout ce qu’il n’aime pas ! C’est progressiste, militant, de gauche, urbain. Faut dire que De Morgen le lui rend bien dès qu’il y a moyen de lui taper sur la tête ! De Morgen est aussi un journal un peu résistant, un peu de la contre-culture, contre le mainstream flamand qui lui est effectivement plus de centre droit.
Une femme politique qui vous a étonné ?
Il y a une femme politique que je ne connais pas bien mais qui m’a fait bonne impression, c’est Gwendolyn Rutten, la nouvelle présidente des libéraux flamands. Je trouve qu’elle a quelque chose de frais, j’aime bien les gens qui appelle un chat un chat, qui ne sont pas dans les calculs… j’ai l’impression qu’elle avance à visage découvert, j’apprécie. Au-delà des idées, il y a des gens vraiment intéressants dans tous les partis. C’est chaque fois vers ceux-là que j’aime bien me tourner.
Bart De Wever semble perdre de sa superbe ? Croyez-vous pour autant que le sentiment d’indépendantisme en Flandre va s’estomper ?
Je pense que les gens ont été gavés de communautaire, de réformes de l’État, de BHV et donc d’institutionnel. Maintenant, on sent bien que le message de la scission du pays n’est plus un véhicule porteur. Les gens ont envie de se concentrer sur le socio-économique, le mieux-être de la population. Peu importe par quelle mesure cela doit passer mais on voit bien que le communautaire n’a plus le vent en poupe.
Il y a un autre point qui est intéressant et qui vraiment m’interpelle. La méforme actuelle de De Wever dans les sondages s’explique peut-être par le fait qu’il s’est enfermé en parlant trop. En effet, il a promis à toute la Flandre qu’il serait bourgmestre d’Anvers jusqu’en 2018. Il est donc à Anvers et il ne peut plus vraiment servir de tête de pont, de représentant flamand. Au vu des élections, il pourrait très bien se profiler comme candidat Premier ministre. Soit il tient sa promesse et il reste jusqu’en 2018 bourgmestre, mais devient donc peu crédible pour mener une campagne fédérale et être au premier plan. Soit il renonce à sa promesse, il quitte Anvers et se présente au fédéral ou même à la Région flamande. Mais la population anversoise risque de mal prendre la chose. À ce stade, il est vraiment entre le marteau et l’enclume.
Il doit faire un choix et quel que soit son choix, il y laissera de toute façon des plumes. La NVA a dévoilé l’ensemble de son programme au congrès politique de rentrée, toutes ses idées socioéconomiques, mais De Wever l’a présenté en tant que bourgmestre d’Anvers. Dès lors, logiquement il devrait les mettre en forme s’il les propose. Il existe là un sérieux dilemme.
La rumeur MR et NVA, rapprochement compatible, reste de l’ordre de la rumeur ou un effet d’annonce ?
Non. Il y a d’abord les faits. Si vous prenez le programme socioéconomique de la NVA et le programme socioéconomique du MR, ce n’est pas un calque mais nous n’en sommes pas loin ! Que ce soit la limitation du chômage dans le temps voire la réduction, que ce soit l’indexation automatique des salaires, que ce soit des coupes dans les dépenses publiques dans la fonction publique aussi. Tout cela ce sont des choses pour lesquelles ils se retrouvent. Ils peuvent le chanter sur tous les tons, ce sont les programmes les plus compatibles côté francophone et côté flamand. Le MR reste le parti politique le plus proche de tous les partis flamands. Si on réfléchit en théorie, si la NVA devait monter au pouvoir, elle serait plus tentée de prendre le MR dans ses valises Maintenant, il faut voir de quelle manière, le PS va se positionner par rapport à la NVA ? Je ne vois venir qu’un choc des titans PS-NVA.
Vous êtes un journaliste passionné ?
Oui, j’adore ce que je fais et parfois je réfléchis dans l’absolu à ce que je pourrais faire d’autre et je ne vois pas. Ce qui m’interpelle très fort c’est l’impression que j’ai que le journalisme politique n’attire plus vraiment les jeunes. Ils ont envie de couvrir d’autres rubriques, du journalisme sportif, etc. Je ne sais pas si cela tient au fait que nous n’avons pas d’horaires. L’actualité tombe quand elle le veut ! Je les encourage pourtant, car j’ai envie qu’il y ait davantage de concurrence sur le point de vue politique, plus d’émulation. Nous avons vraiment la chance d’être dans un pays où nous avons notre mot à dire, où tout se décide au niveau politique, parfois même exagérément dans certains cas. Nous sommes aux premières loges pour observer et se défendre. Si on compare avec nos voisins français, les responsables politiques sont beaucoup plus inaccessibles. En Belgique, nous discutons beaucoup au téléphone avec eux, le contact est direct et s’établit facilement.