Ménopause : et si l’épopée était victorieuse ?

Illu : Vanya Michel

« ‘’Vous êtes bel et bien méno­pau­sée !’’ La petite phrase a cla­qué dans l’air avant de se loger insi­dieu­se­ment dans ce bouillon­ne­ment cor­po­rel intem­pes­tif qui s’était ins­tal­lé depuis quelques mois déjà et j’ai eu le sen­ti­ment que la tem­pé­ra­ture avait mon­té de quelques degrés sup­plé­men­taires ! » témoigne une femme à l’annonce de sa méno­pause par son méde­cin. Une phrase qui aurait pu être dite par des mil­liers d’autres femmes. La méno­pause est un évè­ne­ment bio­lo­gique natu­rel, c’est un fait ! C’est un état phy­sio­lo­gique aus­si natu­rel que la nais­sance, la puber­té, les mens­trua­tions et il est vécu par toutes les femmes, de tout temps et à tra­vers toutes les cultures ! Et pour­tant, comme l’explique la socio­logue Cécile Char­lap dans La Fabrique de la méno­pause, ce qui varie consi­dé­ra­ble­ment ce sont les per­cep­tions de la méno­pause selon les cultures et les époques… Nous allons ten­ter d’explorer et com­prendre les méca­nismes de cette construc­tion pour aider toutes les femmes qui vivent cette traversée.

Alors quoi ? La méno­pause serait donc une construc­tion sociale ? La per­cep­tion de la méno­pause serait-elle influen­cée par des fac­teurs exté­rieurs tels que les normes sociales, les croyances (popu­laires ou reli­gieuses), les poli­tiques et les pra­tiques médi­cales, et de manière plus glo­bale par l’attitude socié­tale envers les femmes, leurs corps et le vieillis­se­ment de celui-ci ? « Et pour­tant je les sens et les vis dans mon corps ces bouf­fées de cha­leur, ces nuits à cher­cher le som­meil, ces brouillards dans ma tête, ces kilos autour de ma taille… » nous rétor­que­rait la témoin de notre intro­duc­tion à pro­pos des signes de sa méno­pause. Quel est donc l’impact de ces construc­tions sociales sur la manière dont les femmes vivent leur ménopause ?

UN PEU D’HISTOIRE POUR COMMENCER

Dans son livre, Cécile Char­lap explique l’invention de cette notion en Occi­dent. C’est un méde­cin fran­çais, Charles de Gar­dane, qui invente le mot « méno­pause » (qui signi­fie « ces­sa­tion des mens­trues ») en 1821, dans une période d’intérêt gran­dis­sant pour les mala­dies des femmes. En effet, à par­tir du 18e siècle, dans le contexte de renou­veau des Lumières et avec l’essor des sciences natu­relles, on voit s’affirmer une pen­sée bica­té­go­rielle du corps humain : le corps fémi­nin et le corps mas­cu­lin étant per­çus comme des enti­tés dif­fé­rentes et oppo­sées. La méno­pause va être asso­ciée à un cor­tège infi­ni de maux et va sur­tout être lue comme une défaillance totale, accom­pa­gnée de troubles fonc­tion­nels dan­ge­reux pour la san­té des femmes. Cette vision de la méno­pause n’aura de cesse de mon­trer com­ment le corps fémi­nin est sou­mis aux troubles et à l’instabilité, en oppo­si­tion évi­dem­ment à la sta­bi­li­té robuste du corps masculin !

Ce dis­cours médi­cal impré­gné de juge­ment moral a tra­ver­sé les époques et per­dure encore aujourd’hui, nous en par­le­rons un peu plus loin.

« CACHEZ-MOI CES FEMMES MÉNOPAUSÉES QUE JE NE SAURAIS VOIR » !

Un corps qui vieillit est-il un corps malade ? Non. La méno­pause est pour­tant un aspect du vieillis­se­ment des femmes qui est, depuis l’Antiquité déjà, trai­té comme une mala­die hon­teuse : lorsque la méde­cine et les médias l’abordent, c’est tou­jours avec un voca­bu­laire par­ti­cu­lier, en termes néga­tifs : on parle de « carence », de « patho­lo­gie », de « risques »… Un champ lexi­cal qui asso­cie cette trans­for­ma­tion pour­tant natu­relle à une dégé­né­res­cence, et même à une déva­lo­ri­sa­tion dans la socié­té, liée à la perte.

La perte de quoi au juste ? La perte de la fécon­di­té, qui, dans nos socié­tés occi­den­tales patriar­cales, est syno­nyme de fémi­ni­té. Une femme qui n’est plus féconde, dans ce contexte, per­drait en quelque sorte sa fémi­ni­té, et sera donc invi­si­bi­li­sée. D’ailleurs, dans les films et séries, on voit très peu d’actrices de 45 – 65 ans. Après 65 ans, elles reviennent dans des rôles de grand-mère. Les médias véhi­culent donc l’idée que, en tant que femme, on est soit jeune et fer­tile, soit vieille. Le vieillis­se­ment des hommes ne suit pas la même logique. Un homme aux che­veux gris ou blancs incarne la matu­ri­té, la sagesse. Dans de nom­breux cas, il s’affichera avec des femmes plus (voire très) jeunes, comme si les femmes de sa géné­ra­tion per­daient tout inté­rêt et ne valaient plus la peine. Les femmes elles-mêmes ont inté­gré ces repré­sen­ta­tions et souffrent de cette exclu­sion.1

La méno­pause reste un sujet tabou, dont on parle peu, auquel on ne pré­pare pas, alors qu’on va pré­pa­rer les jeunes filles à accueillir leurs règles, à deve­nir des femmes. La plu­part des femmes arrivent donc sou­vent dans la (pré-)ménopause en étant un peu per­dues et prêtes à accep­ter, par­fois à contre-cœur, les trai­te­ments hor­mo­naux pro­po­sés par leur médecin.

Actuel­le­ment, les femmes occi­den­tales vivent plus d’un tiers de leur vie en étant méno­pau­sées. Trai­ter la méno­pause comme une mala­die à soi­gner repré­sente donc un com­merce très juteux pour les entre­prises pharmaceutiques.

Sans oublier la pres­sion sociale qui inci­te­ra à ache­ter n’importe quel pro­duit miracle pour « res­ter fémi­nine et jeune mal­gré la méno­pause »2.

Le fait de sou­li­gner que la méno­pause est un pas­sage natu­rel dans la vie d’une femme ne signi­fie pas qu’il faille rompre le dia­logue avec la méde­cine. Il est impor­tant au contraire d’établir un échange de qua­li­té avec les praticien·nes. Il est impor­tant de ne plus faire de la méno­pause une mala­die, mais d’« iden­ti­fier les femmes chez qui la méno­pause va faci­li­ter l’émergence de mala­dies » (ostéo­po­rose, can­cers…). On note d’ailleurs que le rap­port au méde­cin (et au par­te­naire) change très fort le vécu des femmes. Cela confirme qu’il s’agit aus­si d’une expé­rience sociale, et qu’accompagner, écou­ter, com­prendre et légi­ti­mer les femmes dans ce moment de leur vie est primordial.

LA MÉNOPAUSE : UNE PENSÉE UNIVERSELLE ?

La méno­pause prend un sens dif­fé­rent au sein de chaque contexte cultu­rel et social.

Dans cer­taines cultures comme la culture maya (Amé­rique latine), il n’existe même pas de terme spé­ci­fique pour évo­quer la ménopause.

Au Japon, la période de la méno­pause est géné­ra­le­ment consi­dé­rée comme une période de tran­si­tion nor­male dans la vie d’une femme et est sou­vent asso­ciée à une aug­men­ta­tion de la sagesse. Il n’existe d’ailleurs aucun mot pour signi­fier ce que l’Occident désigne par le terme « méno­pause ». La ces­sa­tion des règles est englo­bée dans le terme konen­ki qui à lui seul désigne le pro­ces­sus de vieillis­se­ment de la per­sonne, qu’elle soit femme ou homme. La ces­sa­tion des règles n’est donc pas pen­sée comme une période de dés­équi­libre et de fragilité.

En Afrique, la vision de la méno­pause varie consi­dé­ra­ble­ment selon les régions. Dans cer­taines cultures, la méno­pause est vécue comme une période de tran­si­tion qui va don­ner l’accessibilité aux femmes méno­pau­sées à un nou­veau sta­tut social plus impor­tant et plus proche de celui des hommes. Elles seront ain­si consi­dé­rées comme les gar­diennes de la sagesse et des connais­sances tra­di­tion­nelles. Notons tou­te­fois que ce nou­veau sta­tut social peut éga­le­ment être asso­cié à une stig­ma­ti­sa­tion, qui peut aller jusqu’à leur faire perdre leurs droits sociaux et éco­no­miques.3

ET SI LA MÉNOPAUSE, C’ÉTAIT AUTRE CHOSE ?

Les symp­tômes liés à cette étape dans la vie d’une femme seraient donc variables en fonc­tion des injonc­tions et des dis­cours que la socié­té ren­voie aux femmes… Ces dis­cours infil­tre­raient nos esprits et nos corps et influen­ce­raient la manière de vivre la méno­pause… Et donc, si on s’attelait à faire chan­ger ces discours ?

Et si on arrê­tait de stig­ma­ti­ser les femmes qui prennent de l’âge ? Si on sor­tait de ces réflexes jeu­nistes qui poussent à consi­dé­rer comme malades les corps qui vieillissent ? Si on consi­dé­rait la méno­pause au contraire comme un sym­bole de liber­té : plus de contraintes liées à la fer­ti­li­té et à la contra­cep­tion, et donc plus de liber­té sexuelle à un âge où l’on se connait mieux. Ou comme un sym­bole de sagesse, comme dans d’autres cultures : être arri­vée à l’âge de la méno­pause, c’est avoir tra­ver­sé plu­sieurs étapes de vies, c’est être mature, avoir de l’expérience.

Et si, au lieu de res­ter cha­cune de notre côté avec nos ques­tions, nos incom­pré­hen­sions et nos révoltes, on se réunis­sait pour en par­ler, pour faire de ces vécus un flam­beau à pas­ser aux géné­ra­tions de femmes plus jeunes, pour les pré­pa­rer, pour sor­tir des tabous, en rire… Et impli­quer le monde médi­cal et les hommes, qui ne vivent pas les mêmes situa­tions, mais pour­raient les tra­ver­ser avec nous bien différemment.

C’est d’ailleurs ce que reven­dique le col­lec­tif All for meno­pause avec leur « Mani­feste pour une méno­pause apai­sée et libé­rée ». Consti­tué en 2022 par des femmes de la socié­té civile et des méde­cins, ce col­lec­tif fran­çais porte six pro­po­si­tions concrètes pour faire chan­ger les regards et les vécus sur la méno­pause [voir notre enca­dré]. Leur but est d’informer toutes les femmes, de sen­si­bi­li­ser les professionnel·les de la san­té et d’alerter les pou­voirs publics ain­si que les milieux pro­fes­sion­nels pour redon­ner aux femmes « le pou­voir de déci­der ce qu’elles sou­haitent grâce à une infor­ma­tion objec­tive sur l’ensemble des pos­si­bi­li­tés qui s’offrent à elles et (…) d’améliorer leur bien-être et la pré­ven­tion des risques spé­ci­fiques à cette période »[6].

  1. Voir Carine Janin, « Dans notre socié­té, la méno­pause est asso­ciée à une dégé­né­res­cence », inter­view de Cécile Char­lap in Ouest France, 6/02/2019.
  2. En 2001 aux USA, ces trai­te­ments « miracles » étaient pris par 15 mil­lions de femmes. Voir Une méde­cine sexiste ? Le cas de la sur­mé­di­ca­li­sa­tion des femmes, Étude FPS, 2020 p.10.
  3. Cécile Char­lap, La fabrique de la méno­pause, CNRS édi­tions, 2019, p. 25 – 45.

Les six propositions de All for menopause

#1 Informer les femmes via les médias et les appeler à oser parler de leur ménopause pour qu’elles puissent choisir de manière éclairée entre les différentes options possibles.

#2 Toucher les professionnel·les de la santé en leur proposant une formation spécifique sur la ménopause pour qu’ils/elles accompagnent au mieux les femmes.

#3 Créer un diplôme universitaire de « patient expert » dédié à la ménopause pour faire du vécu des femmes une expérience valorisable par les professionnel·les de la santé.

#4 Créer un parcours de santé dès 45 ans, mis en place et financé par les pouvoirs publics.

#5 Interpeller les dirigeants d’entreprise/ de grands groupes sur le sujet de la ménopause pour éviter la stigmatisation et la mise à l’écart des femmes ménopausées.

#6 Identifier et rendre visible une représentante de la santé des femmes au gouvernement pour faire de la santé des femmes un des principaux axes sur lesquels avancer en matière d’égalité hommes-femmes.

Retrouvez l’intégralité du « Manifeste pour une ménopause apaisée et libérée » sur le site allformenopause.fr

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