Alors quoi ? La ménopause serait donc une construction sociale ? La perception de la ménopause serait-elle influencée par des facteurs extérieurs tels que les normes sociales, les croyances (populaires ou religieuses), les politiques et les pratiques médicales, et de manière plus globale par l’attitude sociétale envers les femmes, leurs corps et le vieillissement de celui-ci ? « Et pourtant je les sens et les vis dans mon corps ces bouffées de chaleur, ces nuits à chercher le sommeil, ces brouillards dans ma tête, ces kilos autour de ma taille… » nous rétorquerait la témoin de notre introduction à propos des signes de sa ménopause. Quel est donc l’impact de ces constructions sociales sur la manière dont les femmes vivent leur ménopause ?
UN PEU D’HISTOIRE POUR COMMENCER…
Dans son livre, Cécile Charlap explique l’invention de cette notion en Occident. C’est un médecin français, Charles de Gardane, qui invente le mot « ménopause » (qui signifie « cessation des menstrues ») en 1821, dans une période d’intérêt grandissant pour les maladies des femmes. En effet, à partir du 18e siècle, dans le contexte de renouveau des Lumières et avec l’essor des sciences naturelles, on voit s’affirmer une pensée bicatégorielle du corps humain : le corps féminin et le corps masculin étant perçus comme des entités différentes et opposées. La ménopause va être associée à un cortège infini de maux et va surtout être lue comme une défaillance totale, accompagnée de troubles fonctionnels dangereux pour la santé des femmes. Cette vision de la ménopause n’aura de cesse de montrer comment le corps féminin est soumis aux troubles et à l’instabilité, en opposition évidemment à la stabilité robuste du corps masculin !
Ce discours médical imprégné de jugement moral a traversé les époques et perdure encore aujourd’hui, nous en parlerons un peu plus loin.
« CACHEZ-MOI CES FEMMES MÉNOPAUSÉES QUE JE NE SAURAIS VOIR » !
Un corps qui vieillit est-il un corps malade ? Non. La ménopause est pourtant un aspect du vieillissement des femmes qui est, depuis l’Antiquité déjà, traité comme une maladie honteuse : lorsque la médecine et les médias l’abordent, c’est toujours avec un vocabulaire particulier, en termes négatifs : on parle de « carence », de « pathologie », de « risques »… Un champ lexical qui associe cette transformation pourtant naturelle à une dégénérescence, et même à une dévalorisation dans la société, liée à la perte.
La perte de quoi au juste ? La perte de la fécondité, qui, dans nos sociétés occidentales patriarcales, est synonyme de féminité. Une femme qui n’est plus féconde, dans ce contexte, perdrait en quelque sorte sa féminité, et sera donc invisibilisée. D’ailleurs, dans les films et séries, on voit très peu d’actrices de 45 – 65 ans. Après 65 ans, elles reviennent dans des rôles de grand-mère. Les médias véhiculent donc l’idée que, en tant que femme, on est soit jeune et fertile, soit vieille. Le vieillissement des hommes ne suit pas la même logique. Un homme aux cheveux gris ou blancs incarne la maturité, la sagesse. Dans de nombreux cas, il s’affichera avec des femmes plus (voire très) jeunes, comme si les femmes de sa génération perdaient tout intérêt et ne valaient plus la peine. Les femmes elles-mêmes ont intégré ces représentations et souffrent de cette exclusion.1
La ménopause reste un sujet tabou, dont on parle peu, auquel on ne prépare pas, alors qu’on va préparer les jeunes filles à accueillir leurs règles, à devenir des femmes. La plupart des femmes arrivent donc souvent dans la (pré-)ménopause en étant un peu perdues et prêtes à accepter, parfois à contre-cœur, les traitements hormonaux proposés par leur médecin.
Actuellement, les femmes occidentales vivent plus d’un tiers de leur vie en étant ménopausées. Traiter la ménopause comme une maladie à soigner représente donc un commerce très juteux pour les entreprises pharmaceutiques.
Sans oublier la pression sociale qui incitera à acheter n’importe quel produit miracle pour « rester féminine et jeune malgré la ménopause »2.
Le fait de souligner que la ménopause est un passage naturel dans la vie d’une femme ne signifie pas qu’il faille rompre le dialogue avec la médecine. Il est important au contraire d’établir un échange de qualité avec les praticien·nes. Il est important de ne plus faire de la ménopause une maladie, mais d’« identifier les femmes chez qui la ménopause va faciliter l’émergence de maladies » (ostéoporose, cancers…). On note d’ailleurs que le rapport au médecin (et au partenaire) change très fort le vécu des femmes. Cela confirme qu’il s’agit aussi d’une expérience sociale, et qu’accompagner, écouter, comprendre et légitimer les femmes dans ce moment de leur vie est primordial.
LA MÉNOPAUSE : UNE PENSÉE UNIVERSELLE ?
La ménopause prend un sens différent au sein de chaque contexte culturel et social.
Dans certaines cultures comme la culture maya (Amérique latine), il n’existe même pas de terme spécifique pour évoquer la ménopause.
Au Japon, la période de la ménopause est généralement considérée comme une période de transition normale dans la vie d’une femme et est souvent associée à une augmentation de la sagesse. Il n’existe d’ailleurs aucun mot pour signifier ce que l’Occident désigne par le terme « ménopause ». La cessation des règles est englobée dans le terme konenki qui à lui seul désigne le processus de vieillissement de la personne, qu’elle soit femme ou homme. La cessation des règles n’est donc pas pensée comme une période de déséquilibre et de fragilité.
En Afrique, la vision de la ménopause varie considérablement selon les régions. Dans certaines cultures, la ménopause est vécue comme une période de transition qui va donner l’accessibilité aux femmes ménopausées à un nouveau statut social plus important et plus proche de celui des hommes. Elles seront ainsi considérées comme les gardiennes de la sagesse et des connaissances traditionnelles. Notons toutefois que ce nouveau statut social peut également être associé à une stigmatisation, qui peut aller jusqu’à leur faire perdre leurs droits sociaux et économiques.3
ET SI LA MÉNOPAUSE, C’ÉTAIT AUTRE CHOSE ?
Les symptômes liés à cette étape dans la vie d’une femme seraient donc variables en fonction des injonctions et des discours que la société renvoie aux femmes… Ces discours infiltreraient nos esprits et nos corps et influenceraient la manière de vivre la ménopause… Et donc, si on s’attelait à faire changer ces discours ?
Et si on arrêtait de stigmatiser les femmes qui prennent de l’âge ? Si on sortait de ces réflexes jeunistes qui poussent à considérer comme malades les corps qui vieillissent ? Si on considérait la ménopause au contraire comme un symbole de liberté : plus de contraintes liées à la fertilité et à la contraception, et donc plus de liberté sexuelle à un âge où l’on se connait mieux. Ou comme un symbole de sagesse, comme dans d’autres cultures : être arrivée à l’âge de la ménopause, c’est avoir traversé plusieurs étapes de vies, c’est être mature, avoir de l’expérience.
Et si, au lieu de rester chacune de notre côté avec nos questions, nos incompréhensions et nos révoltes, on se réunissait pour en parler, pour faire de ces vécus un flambeau à passer aux générations de femmes plus jeunes, pour les préparer, pour sortir des tabous, en rire… Et impliquer le monde médical et les hommes, qui ne vivent pas les mêmes situations, mais pourraient les traverser avec nous bien différemment.
C’est d’ailleurs ce que revendique le collectif All for menopause avec leur « Manifeste pour une ménopause apaisée et libérée ». Constitué en 2022 par des femmes de la société civile et des médecins, ce collectif français porte six propositions concrètes pour faire changer les regards et les vécus sur la ménopause [voir notre encadré]. Leur but est d’informer toutes les femmes, de sensibiliser les professionnel·les de la santé et d’alerter les pouvoirs publics ainsi que les milieux professionnels pour redonner aux femmes « le pouvoir de décider ce qu’elles souhaitent grâce à une information objective sur l’ensemble des possibilités qui s’offrent à elles et (…) d’améliorer leur bien-être et la prévention des risques spécifiques à cette période »[6].
- Voir Carine Janin, « Dans notre société, la ménopause est associée à une dégénérescence », interview de Cécile Charlap in Ouest France, 6/02/2019.
- En 2001 aux USA, ces traitements « miracles » étaient pris par 15 millions de femmes. Voir Une médecine sexiste ? Le cas de la surmédicalisation des femmes, Étude FPS, 2020 p.10.
- Cécile Charlap, La fabrique de la ménopause, CNRS éditions, 2019, p. 25 – 45.
Les six propositions de All for menopause
#1 Informer les femmes via les médias et les appeler à oser parler de leur ménopause pour qu’elles puissent choisir de manière éclairée entre les différentes options possibles.
#2 Toucher les professionnel·les de la santé en leur proposant une formation spécifique sur la ménopause pour qu’ils/elles accompagnent au mieux les femmes.
#3 Créer un diplôme universitaire de « patient expert » dédié à la ménopause pour faire du vécu des femmes une expérience valorisable par les professionnel·les de la santé.
#4 Créer un parcours de santé dès 45 ans, mis en place et financé par les pouvoirs publics.
#5 Interpeller les dirigeants d’entreprise/ de grands groupes sur le sujet de la ménopause pour éviter la stigmatisation et la mise à l’écart des femmes ménopausées.
#6 Identifier et rendre visible une représentante de la santé des femmes au gouvernement pour faire de la santé des femmes un des principaux axes sur lesquels avancer en matière d’égalité hommes-femmes.
Retrouvez l’intégralité du « Manifeste pour une ménopause apaisée et libérée » sur le site allformenopause.fr