Entretien avec Nadia Nsayi,

Œuvres congolaises au MAS d’Anvers : la question de la restitution

Photo : Songye [volk], Masker, Collectie Stad Antwerpen, MAS

Avec Nadia Nsayi, l’une des deux com­mis­saires de l’exposition « 100 x Congo » qui se déroule depuis octobre 2020 au Museum aan de stroom (MAS) à Anvers, nous avons cher­ché à savoir si le pro­ces­sus de déco­lo­ni­sa­tion était enclen­ché et si le ter­rain était pro­pice aux res­ti­tu­tions d’objets et œuvres d’art. Et sous quelles formes elles pou­vaient se mettre en place.

Le par­cours de l’expo « 100 x Congo » s’appuie et pro­pose une double lec­ture du pas­sé congo­lais. À la fois, autour des 60 ans de l’indépendance du Congo (après 75 ans de colo­ni­sa­tion belge de 1885 à 1960) et les inter­ven­tions de chercheurs·euses et artistes congolais·es sur la col­lec­tion du MAS, mais aus­si autour du cen­te­naire de l’acquisition des tout pre­miers objets congo­lais par la ville d’Anvers dont l’expo retrace scru­pu­leu­se­ment l’itinéraire. Aujourd’hui, si le MAS ne va pas jusqu’à pro­po­ser la res­ti­tu­tion de cer­taines de ses pièces, il reste en tout cas « ouvert » à la question.

L’expo « 100 x Congo » est-elle conçue comme un symbole de la résistance des peuples Kongo d’Afrique centrale ?

J’ai tra­vaillé sur « 100 x Congo » avec Els De Pal­me­naer. Cette expo­si­tion a comme objec­tif de pré­sen­ter au public des objets cultu­rels ori­gi­naires du Congo. Ces objets sym­bo­lisent la diver­si­té et la créa­ti­vi­té des dif­fé­rents peuples congo­lais. Bien qu’ils ne se trouvent plus au Congo, ces œuvres per­mettent de mettre à mal l’opinion selon laquelle les Congo­lais n’au­raient pas d’his­toire avant la colo­ni­sa­tion. Les 100 pièces phares de l’ex­po prouvent en effet que c’est faux. Et cette his­toire afri­caine est riche, sinon elle ne serait pas pré­sente au tra­vers des objets d’art dans des musées en occident.

Est-ce que le MAS « règle ses comptes » avec l’héritage colonial de la Belgique ? Lance-t-il une forme de décolonisation des musées ?

Le MAS conserve une col­lec­tion afri­caine de 15000 objets dont 5000 pro­viennent du Congo. Cette col­lec­tion a vu le jour en 1920, en pleine période colo­niale. À l’oc­ca­sion de ce cen­te­naire, le MAS décide d’a­bor­der d’une façon trans­pa­rente et cri­tique le pas­sé colo­nial de la Bel­gique, avec une pers­pec­tive anver­soise et artis­tique. Il ne s’a­git pas de régler des comptes, mais plu­tôt de contri­buer au débat d’ac­tua­li­té sur la colo­ni­sa­tion et la décolonisation.

Suite au mouvement antiraciste Black Lives Matter et aux expressions du Black Power dans le sillage de la mort de Georges Floyd, une commission parlementaire a été formée pour examiner tous les aspects de la colonisation belge. Y sera-t-il question de la restitution des œuvres d’art spoliées au Congo ?

La créa­tion de cette com­mis­sion par­le­men­taire est un évè­ne­ment his­to­rique. Il s’agit d’un pas impor­tant de la Bel­gique bien déci­dée à se pen­cher sur son pas­sé colo­nial au Congo ain­si qu’au Rwan­da et au Burun­di. Il y est ques­tion de l’im­pact de la colo­ni­sa­tion et la suite à don­ner à ce pas­sé. La pré­sence des œuvres afri­caines dans les col­lec­tions d’art en Bel­gique est reprise comme thème dans la réso­lu­tion de la com­mis­sion. Dans ce cadre, je pense que la ques­tion de la res­ti­tu­tion sera abor­dée, même s’il s’a­git d’un sujet déli­cat. Mais il est impor­tant d’im­pli­quer les Afri­cains des trois anciennes colo­nies dans les dis­cus­sions, et ce pour sor­tir du cadre belgo-belge.

Le MAS est-il prêt à restituer certaines de ses pièces ? Retrouveront-elles le chemin du Congo un jour ? Et si cela devait être le cas comment concrètement cela se passerait-il ? Quel serait le rôle des Congolais dans cette décision ?

Le MAS conserve la col­lec­tion congo­laise qui est depuis 100 ans la pro­prié­té juri­dique de la ville d’An­vers. Dans le guide de l’ex­po, le musée informe le visi­teur qu’il est ouvert à la res­ti­tu­tion mais je tiens à sou­li­gner que res­ti­tuer des œuvres relève d’une déci­sion poli­tique, donc la res­pon­sa­bi­li­té des auto­ri­tés poli­tiques d’An­vers est enga­gée. L’é­che­vine de la Culture l’a déjà signa­lé à plu­sieurs reprises : si le Congo adresse à la ville d’An­vers une demande offi­cielle de res­ti­tu­tion des œuvres, la ques­tion sera exa­mi­née. À pré­sent, il reste à savoir si la res­ti­tu­tion est une prio­ri­té pour les diri­geants congo­lais. Je ne pense pas. Jus­qu’à main­te­nant il n’y pas eu de demande, même si cer­taines orga­ni­sa­tions de la dia­spo­ra, comme Bam­ko (Centre de réflexion et d’action sur le racisme anti-noir·es) lutte pour cette res­ti­tu­tion dans le cadre d’un pro­ces­sus de déco­lo­ni­sa­tion. Le Congo devrait se pro­non­cer parce que ce n’est pas au musée de choi­sir et déci­der quelles œuvres doivent retour­ner là-bas ou non. Les Congo­lais doivent faire ce tra­vail de mémoire. Si la Bel­gique arbitre seule sur les condi­tions de res­ti­tu­tion, nous ne sor­ti­rons pas de la logique pater­na­liste. Pour­tant c’est bien cette logique qu’il faut bri­ser 60 ans après l’in­dé­pen­dance du Congo.

100 x Congo. Un siècle d'art congolais à Anvers
(Du 3/10/2020 au 12/09/2021) - www.mas.be

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