Ce docu-fiction du réalisateur palestinien Raed Andoni, qui avait déjà signé le marquant Fix Me, est un chef d’œuvre. Récemment passé au Festival Filmer à tout prix, cette œuvre sombre et pudique donne à voir à quel point la culture de la prison résultant du projet colonial israélien est prégnante en Cisjordanie. Et pour cause, avec 750.000 Palestiniens et Palestiniennes ayant séjourné, pour quelques jours ou quelques années, dans les prisons politiques israéliennes depuis 1967 (7.500 actuellement, dont des enfants, nous apprend aussi le film), l’expérience carcérale traumatique s’avère commune et pour ainsi dire tristement ordinaire en Palestine.
Le film débute avec le casting par Raed Andoni (lui-même passé par la case prison) d’une dizaine d’ex-détenus comédiens, venus suite à l’annonce d’un projet de reconstitution d’un centre d’interrogatoire israélien. Chacun avec son métier et son trauma, ils vont reconstruire « leur » prison. D’abord en dur, en suivant leurs souvenirs lacunaires (puisqu’on leur y bandait les yeux). La reconstitution collective des lieux ne s’arrêtent pas aux murs puisqu’ils vont improviser ce qu’on y vit, dans le cadre de jeux de rôles virant souvent au psychodrame violent, en tenant qui le rôle de prisonnier, qui celui du maton, qui celui d’interrogateur. Manière de faire face à ses fantômes en mettant en scène leurs traumas.
Cathartique donc (car c’est une forme de thérapie collective) mais aussi hautement subversif puisque, non content d’aborder la thématique des tortures psychologiques, des privations et des sévices corporels dans les prisons israéliennes, le film présente également des Palestiniens bien loin de la figure victimaire que bon nombre de docus européens ont tendance à dresser. Les prisonniers palestiniens négocient, tiennent le maton autant qu’ils sont tenus par lui, vivent l’humiliation mais aussi la solidarité, la douleur mais aussi le courage, l’horreur mais aussi la tendresse, les cris mais aussi la poésie. Ça blague, ça chahute, ça chante, ça danse, bref, ça vit malgré les oppressions, y compris dans la sinistre « salle d’entraves » reconstituée, lieu de rétention et d’humiliation par excellence où l’on se retrouve le plus souvent pieds ou poings liés, sac en toile sur la tête.
Hommage au cinéma autant que geste politique, Ghost Hunting est transperçant, délicat et sombre, même s’il ouvre sur les lumières de la résilience et de la résistance.
Aurélien BerthierGhost hunting
Un docu-fiction de Raed Andoni
Films de Zayna, 2017