Pour donner à sentir la torture, la reconstitution cinématographique est un processus à la fois cathartique pour celui ou celle qui la développe sous l’œil de la caméra et éprouvant pour qui le regarde. On l’avait déjà vu à l’œuvre dans Ghost hunting de Raed Andoni où d’ancien·nes prisonnier·es palestinien·nes racontaient les sévices subis dans les prisons israéliennes ou, dans un autre genre, dans the Act of killing de Joshua Oppenheimer, où les bourreaux se faisaient un plaisir de reconstituer les exactions commises lors du massacre de 1965 en Indonésie. Le réalisateur iranien Mehran Tamadon reprend donc ce procédé dans Là où Dieu n’est pas pour rendre visible la torture dans les geôles d’Iran. Filmé avant le mouvement « Femme, vie, liberté », son sujet devient brulant alors que près de 20.000 personnes ont été emprisonnées en un an. Le réalisateur dialogue avec Taghi, Homa et Mazya, arrêté·es et torturé·es par le régime iranien et exilé·es depuis. Les ex-détenu·es délimitent sommairement l’espace, figurent une cellule ou une salle d’interrogatoire, racontent l’horreur ou miment les gestes et les coups quand iels ne peuvent plus parler. Ces trois témoins font sentir la peur, la violence extrême, leur être et leur chair meurtries. Mais le film est loin d’être une ode au martyr puisqu’il interroge avant tout la place du tortionnaire dans le système totalitaire, ses gestes, sa pratique, sa conscience. Des récits difficiles mais qui permettent de mesurer avec acuité ce qui se joue dans les murs des prisons d’un régime autoritaire comme celui de la République islamique. Et d’appréhender, au-delà de chiffres désincarnés, un système de répression dans toutes ses dimensions.
Léo CharondLà où Dieu n'est pas
Mehran Tamadon
L'Atelier documentaire / Box Productions, 2023