La délicate et difficile attitude à adopter envers les mères porteuses me semble faire écho à quelques réflexions fondamentales sur le monde moderne.
La gestation pour autrui (GPA) pose la problématique des limites. L’humain est par essence un être fini, limité dans le temps et l’espace, à l’inverse du divin. Les philosophes de l’Antiquité opposaient la prudence à la démesure considérée comme le défaut majeur de l’homme, coupable de vouloir pendre la place des dieux. Ne verse-t-on pas dans cette démesure en outrepassant les frontières biologiques de l’humain ? Allons-nous reconfigurer notre identité, comme une forme de rédemption par les technosciences, afin de rencontrer notre désir d’immortalité ?
La question centrale des limites, notamment à l’heure de l’exploitation tragique des écosystèmes, me paraît au cœur de la question de la gestation pour autrui. Elle interroge le statut de l’humain, en regard de l’animalité, du végétal et du minéral. Elle questionne la définition même de l’homme et de la femme.
Ne s’avance-t-on pas vers une nouvelle espèce d’Homo par la disparition de la norme éthique ? Vers une femme-machine, une cyberwoman, prototype du cybernanthrope, rêvé dans les laboratoires de la Silicon Valley et dans les esprits futuristes des magiciens de l’humanité de l’avenir ? La transgression ne trahira-t-elle pas les promesses de l’émancipation ?
Dénaturaliser pour défataliser explique-t-on dans certaines sciences sociales ? Mais est-ce si sûr que le pacte faustien ou le Prométhée totalement libéré de ses chaînes naturelles produira une humanité meilleure, plus heureuse, plus digne et plus solidaire ?
Un autre aspect d’interrogation sur les mères porteuses me paraît résider dans la logique croissante de la marchandisation du monde, dont la mercantilisation du corps. La mise sur le marché du corps féminin, qui est déjà bien réelle dans nombre de domaines, de la prostitution à la publicité, au travers de la location de l’utérus, amplifie encore ce mouvement ascendant du capitalisme contemporain qui transforme toute valeur d’usage en valeur d’échange selon la formule de Marx.
La fonction économique de la GPA, marché lucratif dont les motivations financières peuvent être diverses comme le souci de sortir les femmes indiennes de la pauvreté, est une réalité puisque certaines publications chiffrent cette pratique entre 15.000 et 100.000 dollars. Il s’agit le plus souvent d’un acte intéressé et non d’une solidarité féministe ou humaniste. La mise sur le marché des corps n’est pas neutre axiologiquement. Il modifie, comme l’exprime Jean-Pierre Dupuy, la nature même du bien échangé.
La location temporaire d’un utérus apparaît à la fois comme une pratique ultralibérale, rien ne doit échapper au libre marché mû par le seul intérêt individuel, et comme une pratique réactionnaire, confinant la femme dans un rôle de génitrice. Son utérus est alors pensé comme un vase sacré comme le professent les visions les plus obscurantistes de l’humanité.
Il faut ajouter à ces considérations les difficultés juridiques, manifestement bien réelles dans nombre de situations qui peuvent devenir inextricables. Quid des conflits de droit, quid si les parents commanditaires changent d’avis, quid si la mère porteuse change d’avis, quid si un conflit naît entre eux, s’il y a des jumeaux, quel est le droit parental de la mère porteuse ?
Aux aspects juridiques, il me semble nécessaire d’adjoindre l’angle le plus essentiel quant à la méfiance envers la pratique de la gestation pour autrui : l’intérêt de l’enfant. Je serai prudent sur cette composante fondamentale de la problématique, étant totalement profane en matière de développement de la personnalité de l’enfant. Mais le simple bon sens commande de s’interroger sur la construction d’une identité issue d’une pratique qui peut engendrer de réelles souffrances psychiques, un sentiment d’abandon ou des troubles nés de la perception d’être un objet issu d’une transaction financière.
La combinaison de ces différents principes et arguments quant à la définition de l’humanité, à l’exploitation économique, aux contradictions juridiques et aux souffrances psychologiques, m’engage dès lors sur un chemin de vigilance, de circonspection et de mesure face à un questionnement qui est au cœur de la condition humaine.
Notons toutefois la récente décision du parlement portugais qui a décidé d’autoriser la GPA à condition qu’elle soit gratuite et qui reconnait de ce fait la possibilité d’un geste altruiste permettant à certains couples d’avoir un enfant.