Climat : face à l’inaction, la rébellion

Londres durant la « Semaine de rébellion internationale » (entre le 15 et le 17 avril 2019). Photo : Émilie Jacquy

En avril, la capi­tale bri­tan­nique a été le théâtre d’actions de déso­béis­sance civile de masse menées au nom de la pla­nète. Pen­dant dix jours, les acti­vistes d’Extinc­tion Rebel­lion UK ont occu­pé quatre lieux emblé­ma­tiques de Londres mal­gré les nom­breuses arres­ta­tions, fai­sant naitre des voca­tions par mil­liers et pro­pul­sant l’urgence cli­ma­tique à la Une des conver­sa­tions, de l’actualité et même de l’agenda poli­tique. Leur force ? Un mes­sage clair et un nombre éton­nant de citoyen·es prêts à être pri­vés de liber­té pour per­tur­ber le « busi­ness as usual » et secouer les consciences face au réchauf­fe­ment cli­ma­tique et à la sixième extinc­tion de masse des espèces. Du jamais-vu au Royaume-Uni. Ren­contre avec quelques-uns de ces héros ordinaires.

Oxford Cir­cus, lun­di 15 avril, 12h30. Un bateau rose bon­bon bloque le car­re­four au croi­se­ment d’Oxford Street et de Regent Street, sur la célèbre ave­nue com­mer­ciale lon­do­nienne. À quinze mètres de là, quelques agents de police signalent dis­crè­te­ment la mani­fes­ta­tion. Autour du bateau – nom­mé « Ber­ta Cáceres » en hom­mage à la mili­tante éco­lo­giste hon­du­rienne assas­si­née en 2016 – l’ambiance est cha­leu­reuse et décon­trac­tée. La « semaine inter­na­tio­nale de rébel­lion » a moins d’une heure et les acti­vistes prennent pos­ses­sion de l’espace public dans l’improvisation et la bonne humeur. Ils sont déjà plus d’une cen­taine. Meghan, 26 ans, porte un dra­peau flo­qué d’un sablier, sym­bole du mou­ve­ment et du temps qui presse : « C’est la panique qui m’amène. J’ai un enfant de deux ans et je veux sau­ver son ave­nir ».

Kate, 58 ans se tient fiè­re­ment der­rière la ban­nière de son groupe de King­ton, près du Pays de Galles. Elle a fait le voyage avec une quin­zaine d’autres néo-acti­vistes : « Nous sommes ce qu’on appelle un groupe d’affinité. C’est un groupe local avec qui on mène des actions. Nous fai­sons par­tie de l’équipe de nuit. Notre rôle est de tenir Oxford Cir­cus de 1h à 7h du matin. Cer­tains d’entre nous, moi y com­pris, sont prêts à être arrê­tés ». C’est sa pre­mière expé­rience du genre et la pers­pec­tive d’être embar­quée par la police l’inquiète, mais sa propre sécu­ri­té l’importe désor­mais moins que l’avenir de la pla­nète : « En octobre, j’ai vu l’intervention de Gail Brad­brook [la Co-fon­da­trice d’Extinction Rebel­lion] et j’ai eu une révé­la­tion. Sou­dain, je pou­vais voir clai­re­ment vers quoi nous nous diri­gions, ce qui pour­rait arri­ver à l’environnement… et à nous tous. Et c’est abso­lu­ment ter­ri­fiant. J’ai pré­fé­ré l’action au déses­poir. Je me suis dit : « Si ce n’est pas moi, qui d’autre ? » ».

À quelques sta­tions de métro de là, Water­loo Bridge, un pont rou­tier qui sur­plombe la Tamise, est tenu par les « rebelles » du Sud-Ouest. À l’une des extré­mi­tés, je ren­contre John. Ban­deau à la Ram­bo sur la tête, il bloque le tra­fic en com­pa­gnie d’une tren­taine de cama­rades. Autre­fois mili­tant anti­fas­ciste, John est aujourd’hui membre du Green Par­ty : « Je suis ici parce que j’ai peur pour mes petits-enfants. Mal­gré ce que pensent les scep­tiques, le chan­ge­ment cli­ma­tique est une réa­li­té, il y a énor­mé­ment de preuves. Nous vou­lons que les gens se réveillent car si nous ne fai­sons rien, le genre humain et tout ce qui vit sur cette pla­nète ces­se­ront d’exister. Alors tous ces auto­mo­bi­listes qui se plaignent, j’ai envie de leur dire : « Cou­pez votre moteur et pen­sez à ce qui arri­ve­ra si le chan­ge­ment cli­ma­tique nous frappe, ici. Les consé­quences seront beau­coup plus graves ! » ».

« Pour sauver la planète, c’est par ici ! »

Au centre du pont, trans­for­mé en jar­din, tous les ingré­dients d’une Z.A.D. sont réunis : cui­sine col­lec­tive, tentes Que­chua, dra­peaux mul­ti­co­lores, camion-scène ali­men­té à l’énergie solaire, plantes vertes, ain­si qu’un pro­gramme allé­chant de prises de paroles et de for­ma­tions à l’action directe non vio­lente pour les nou­velles recrues. Le tar­mac est recou­vert de slo­gans, une cho­rale contes­ta­taire pousse la chan­son­nette, des enfants jouent à s’attraper. C’est l’heure du pique-nique. Je tombe sur Judy, 64 ans. Elle est ici pour quatre jours : « C’est la pre­mière fois que je me sens suf­fi­sam­ment puis­sante pour m’engager. Je ne serais pas là si je ne pen­sais pas que l’action directe peut faire une dif­fé­rence ». Le mou­ve­ment mise sur la déso­béis­sance civile pra­ti­quée à large échelle pour for­cer les élus à réagir. Contre le green­wa­shing ambiant, leur pre­mière demande est qu’on « dise la véri­té » : « Les gou­ver­ne­ments du monde, les capi­ta­listes, nous font croire que le chan­ge­ment cli­ma­tique est une inven­tion ou qu’il ne nous affec­te­ra pas. Nous devons les ame­ner à décla­rer un état d’urgence, pour que tout le monde réa­lise que nous sommes face à une crise et que nous devons agir main­te­nant. Ici au Royaume-Uni, il y a beau­coup de dis­cours, mais très peu d’action ».

Lun­di 15 avril, 18h. Je passe à Marble Arch, quar­tier géné­ral de la rébel­lion. Hyde Park et son célèbre Spea­kers” Cor­ner ont des allures de fes­ti­val d’été avec cam­ping impro­vi­sé, toi­lettes sèches, ate­liers créa­tifs, per­for­mances musi­cales et artis­tiques. Au stand d’information et d’enrôlement, Oli­ver, 28 ans, revient sur l’organisation de cette folle semaine : « Nous sommes un mou­ve­ment non-hié­rar­chique. Il y a une sorte de bureau cen­tral qui a éla­bo­ré le plan d’action, mais ensuite, l’organisation a été dis­pat­chée à dif­fé­rents groupes ». Il s’arrête pour ren­sei­gner trois étu­diantes curieuses. « Je pense que nous avons déjà réus­si à sen­si­bi­li­ser une par­tie du public, et c’est super. Mais ça ne marche pas encore au niveau du gou­ver­ne­ment. Les citoyens sont plu­tôt conscients qu’ils devraient arrê­ter d’utiliser du plas­tique, qu’ils ne devraient pas man­ger de la viande tout le temps, etc. Le gros pro­blème, c’est que les grosses entre­prises conti­nuent à exploi­ter les éner­gies fos­siles et que les gou­ver­ne­ments ne les stoppent pas. Il faut qu’eux aus­si s’engagent ». En termes d’énergies fos­siles, le mou­ve­ment demande la neu­tra­li­té car­bone à l’horizon 2025 (c’est-à-dire un « état d’é­qui­libre à atteindre entre les émis­sions de gaz à effet de serre d’o­ri­gine humaine et leur retrait de l’at­mo­sphère par l’homme ou de son fait », selon Wiki­pé­dia).

Par­lia­ment Square, 23h. Face à West­mins­ter, siège du Par­le­ment bri­tan­nique, une poi­gnée d’activistes tente de tenir ses posi­tions sous le cra­chin anglais. Plus tôt dans la jour­née, ce lieu hau­te­ment sym­bo­lique s’est trans­for­mé en espace d’expérimentation pour la démo­cra­tie directe, maté­ria­li­sant la troi­sième demande du mou­ve­ment : dépas­ser la poli­tique par­ti­sane et asso­cier les citoyens aux solu­tions à trou­ver face à l’urgence cli­ma­tique. Mais ce soir, ils semblent seuls, vul­né­rables, à la mer­ci du vent et des regards répro­ba­teurs. En ren­trant à l’auberge de jeu­nesse, je fais un cro­chet par Oxford Street. Il est 1h du matin. Des acti­vistes s’apprêtent à dor­mir autour du bateau, accro­chés les uns aux autres. Par­mi eux, une dame de pas­sé 70 ans, à qui l’on donne une cou­ver­ture. Elle est cou­chée sur un mate­las de for­tune. Je me dis qu’ils ne tien­dront pas la nuit… Mais j’ai tort. Le len­de­main, je découvre sur Face­book le post triom­phant d’Extinction Rebel­lion qui féli­cite les rebelles pour leur pre­mière nuit d’occupation. L’appel aux ren­forts a été bien sui­vi. Ce n’est que le début.

Ami, si tu tombes…

Water­loo Bridge, mer­cre­di 17 avril, 14h. Troi­sième jour de rébel­lion. En contre­bas, les tou­ristes pro­fitent du soleil sur la Rive Sud de la Tamise. Sur le pont, la police pro­cède à des arres­ta­tions. La cor­dia­li­té entre acti­vistes et forces de l’ordre est presque sur­réa­liste. Chaque rebelle embar­qué est applau­di par la foule comme un héros, tan­dis qu’un autre prend aus­si­tôt sa place. Mar­tin, 61 ans, raconte : « Lun­di, à midi, on m’a emme­né au poste de police de Bar­king, dans la ban­lieue de Londres. Il y avait 30 cel­lules, toutes rem­plies. Les poli­ciers s’attendaient à moins d’arrestations. Ils étaient en sous-capa­ci­té. Du coup, après 7 heures d’emprisonnement, ils m’ont libé­ré. Je suis reve­nu direc­te­ment ici et j’ai pré­ve­nu les poli­ciers que les autres feraient la même chose. Ils ont été sur­pris. Ils vou­draient qu’on dis­pa­raisse, mais ça n’arrivera pas ».

Mar­tin a rai­son. Ce n’est qu’après 7 jours que les rebelles ont fini par quit­ter un à un les lieux occu­pés. Suite aux arres­ta­tions deve­nues mas­sives ou pour faire un break stra­té­gique, le temps de ren­con­trer les auto­ri­tés ? Ce n’est pas clair. Par­mi les rebelles, j’ai vu un niveau éle­vé de conscience poli­tique, une iden­ti­té col­lec­tive très forte et compte tenu de la nature des actions, un nombre sur­pre­nant de pen­sion­nés et de novices en matière de pro­tes­ta­tion. Cette déter­mi­na­tion est pro­ba­ble­ment leur plus grande force. Plus de 1000 per­sonnes arrê­tées en 10 jours, des dizaines de mains col­lées à la glu sur des trans­ports en com­mun, des façades d’entreprises pol­luantes ou encore la mai­son de Jere­my Cor­byn, lea­der du Par­ti tra­vailliste… Les actions spec­ta­cu­laires d’Extinc­tion Rebel­lion ont per­mis d’imposer l’urgence cli­ma­tique dans le débat public, comme Occu­py Wall Street l’avait fait pour les inégalités.

En six mois seule­ment, le mou­ve­ment a lar­ge­ment dépas­sé les fron­tières du Royaume-Uni, et il ne se passe pas une semaine sans qu’une action ne soit menée en son nom, y com­pris chez nous [Voir enca­dré]. Die-in [les par­ti­ci­pants s’allongent et simulent la mort], funé­railles du cli­mat, déver­se­ment de faux-sang : Extinc­tion Rebel­lion conti­nue de nous aler­ter sur la des­truc­tion des éco­sys­tèmes et l’effondrement à venir. Avec un pre­mier suc­cès : le Par­le­ment bri­tan­nique, sui­vi de son voi­sin irlan­dais, viennent de décla­rer l’état d’urgence cli­ma­tique, tout comme la com­mune de Koe­kel­berg. Reste à joindre les actes aux paroles… Et les rebelles ne seront pas dupes.

Les pho­tos qui suivent ont été prises par Émi­lie Jac­quy à Londres entre le 15 et le 17 avril 2019 durant la « Semaine de rébel­lion internationale ».

Extinction Rebellion Belgium

Né au Royaume-Uni, le mouvement radical et non violent Extinction Rebellion se développe dans de nombreux pays, y compris en Belgique où ses militant·es organisent régulièrement des actions coup de poing. Dernière en date, un « die-in » place Schumann à Bruxelles le 15 avril dernier.

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