Entretien avec Audrey Vandeleene

Le Vlaams Belang, un parti très bien huilé

Illustration : Emmanuel Troestler

Le constat est simple, la pro­gres­sion du Vlaams Belang (VB) n’a de cesse de croitre dans notre pays. Nous avons cher­ché à en savoir plus sur le pour­quoi et le com­ment auprès d’Audrey Van­de­leene qui effec­tue ses recherches sur les par­tis poli­tiques. Maitre de confé­rences à l’ULB et cher­cheuse au Dépar­te­ment de sciences poli­tiques de l’Université de Gand, elle éta­blit une série de constats pour cer­ner le phé­no­mène poli­tique VB.

Comment analysez-vous, la progression toujours plus forte du Vlaams Belang ? Si des élections avaient lieu aujourd’hui le VB serait de loin un des plus grands partis du pays ?

La pro­gres­sion du par­ti d’extrême droite fla­mand se situe dans la lignée de la mon­tée des popu­lismes et des extrêmes dans la plu­part des pays occi­den­taux. La Flandre ne fait pas figure d’exception. C’est plu­tôt du côté fran­co­phone que se situe l’exception, avec le fait que ces der­nières années, aucun par­ti se reven­di­quant très à droite n’ait réel­le­ment per­cé élec­to­ra­le­ment. Cer­tains expliquent cette situa­tion par l’efficacité du cor­don sani­taire. En Flandre, le VB aurait selon les son­dages près d’un quart des inten­tions de vote, ce qui en fait un par­ti de tout pre­mier plan. Tou­te­fois, vu la rela­tive fia­bi­li­té des son­dages élec­to­raux et le fait que les élec­tions auront nor­ma­le­ment lieu en 2024, beau­coup d’eau peut encore cou­ler sous les ponts.

Quels sont les thèmes porteurs du VB qui font qu’il enregistre un tel succès ? Est-il populaire ?

Bien que le VB se posi­tionne sur tous les sujets de socié­té, la thé­ma­tique de la migra­tion reste col­lée à son image, au contraire de ses posi­tion­ne­ments sur les ques­tions socio-éco­no­miques. C’est pour les élec­teurs LE par­ti des thèmes migra­toires. On remarque d’ailleurs que votants ou sym­pa­thi­sants ne sont que fai­ble­ment d’accord avec les idées du par­ti sur le socio-éco­no­mique. Les élec­teurs du VB sont davan­tage des citoyens déçus de la poli­tique, qui ont peu confiance dans le monde poli­tique et en sont peu satis­faits. Ils ont ten­dance à être plus cyniques (et à sou­te­nir par exemple l’idée du « tous pour­ris ! »). L’électorat du VB est donc clai­re­ment un élec­to­rat de rejet de la poli­tique plu­tôt que de sou­tien aux thèmes por­teurs du parti.

Le VB est popu­laire sur­tout via la per­son­na­li­té de son pré­sident, le jeune Tom Van Grie­ken, qui est à la tête du par­ti depuis 2014 déjà. Il est actuel­le­ment dans le top 5 des per­son­na­li­tés poli­tiques pré­fé­rées en Flandre. Ceci peut en par­tie être expli­qué par le fait qu’il est très actif sur les réseaux sociaux, tout comme l’étoile mon­tante appa­ren­tée au par­ti, Dries Van Lan­gen­hove. Cepen­dant, des études en sciences poli­tiques ont démon­tré qu’une per­son­na­li­té cha­ris­ma­tique à la tête d’un par­ti ne fait pas tout. La popu­la­ri­té d’un lea­der est au mieux un coup de pouce pour le suc­cès élec­to­ral d’un parti.

Est-il influencé par la N‑VA ou est-ce l’inverse ?

Tous les par­tis poli­tiques s’influencent mutuel­le­ment. Les par­tis réagissent en fonc­tion de l’environnement dans lequel ils évo­luent, que ce soit en sui­vant le com­por­te­ment ou les idées d’autres par­tis ou, au contraire, en pre­nant clai­re­ment une direc­tion oppo­sée afin de se dis­tin­guer. Le VB et la N‑VA se situent du même côté du spectre idéo­lo­gique, du côté droit. Il est donc logique qu’il y ait des sujets et des pré­oc­cu­pa­tions com­munes aux deux for­ma­tions. De plus, outre leurs prises de posi­tion socio-éco­no­miques, les deux par­tis sont de ten­dance natio­na­liste fla­mande. Il va donc de soi qu’il existe des phé­no­mènes d’influence mutuelle. Ces deux par­tis ont tou­te­fois inté­rêt à res­ter dis­tincts l’un de l’autre afin de ne pas perdre leur élec­to­rat au pro­fit de leur concur­rent. Ain­si, le VB s’affiche davan­tage comme un par­ti anti-esta­blish­ment (qui n’a jamais ou presque par­ti­ci­pé à un exé­cu­tif, par exemple) tan­dis que la N‑VA capi­ta­lise sur ses résul­tats en tant que membre de gouvernement.

Le cordon sanitaire est-il menacé ?

Il est impor­tant de dis­tin­guer deux sortes de cor­don sani­taire : le poli­tique et le média­tique. Le cor­don sani­taire poli­tique existe en théo­rie sur l’ensemble de la Bel­gique. Il date des années 1980 quand les dif­fé­rents par­tis poli­tiques belges, et prin­ci­pa­le­ment les par­tis fla­mands — car c’est là que l’extrême droite était plus pré­sente — ont signé un accord afin de ne pas col­la­bo­rer avec le VB. Ce cor­don sani­taire a été plus ou moins res­pec­té, à quelques excep­tions près au niveau local. C’est ce cor­don qui menace de se bri­ser si le VB entre dans une coa­li­tion au niveau régio­nal ou fédé­ral, ce qui semble tou­te­fois encore loin d’être le cas. Le cor­don sani­taire média­tique est d’un autre ordre : il s’agit d’un accord entre organes de presse de ne pas mettre en avant les idées d’extrême droite. Ce cor­don est d’ores et déjà bri­sé en Flandre car les per­son­na­li­tés du VB inter­viennent régu­liè­re­ment dans les médias. En Bel­gique fran­co­phone par contre, le cor­don média­tique tient tou­jours, via le refus des médias de lais­ser inter­ve­nir une per­son­na­li­té d’extrême droite en direct. Cette pré­cau­tion per­met aux médias de contrô­ler les dires poten­tiel­le­ment indé­si­rables de ces hommes et femmes politiques.

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