Metal à conviction

Par Pierre Vangilbergen

« On est là pour faire de la musique, pas pour par­ler de poli­tique ». L’adage est bien connu dans le milieu du metal. Et pour­tant… celles et ceux qui disent cela ont la mémoire courte. Depuis ses ori­gines au début des années 70, le metal est un des cou­rants musi­caux les plus contes­ta­taires. Même si certain·es tentent aujourd’hui de s’en affran­chir, d’autres groupes au contraire n’ont pas peur de cla­mer haut et fort leur opi­nion poli­tique, optant éga­le­ment pour le bon côté de l’échiquier en évi­tant de s’embourber dans des idées aus­si extré­mistes qu’abjectes. En d’autres mots : être pro­gres­siste et pra­ti­quer de la musique extrême, c’est tou­jours bel et bien possible.

Par­mi ces groupes, Sun­rot, ori­gi­naire du New Jer­sey, n’a pas par­ti­cu­liè­re­ment sa langue en poche : « Quand on est en tour­née aux États-Unis, on essaie tou­jours de jouer dans des États dotés de lois anti-trans, anti-queer et anti-mou­ve­ment pro-choix, afin de faire face aux per­sonnes qui veulent notre mort et d’emmerder le plus grand nombre pos­sible de réacs », explique le voca­liste du groupe, Lex San­tia­go.

Non seule­ment très sen­sible aux ques­tions de genres, Sun­rot s’inscrit par ailleurs dans une cri­tique viru­lente du capi­ta­lisme et du colo­nia­lisme. Un élan sans équi­voque à com­battre ces idéo­lo­gies, cris­tal­li­sé il y a peu, en 2023, dans le mor­ceau Gut­ter : « Nous avons ter­ni ton visage — Embra­sé ton océan — Nous avons déchi­ré ton ciel — Bai­gné dans des pluies acides — Nous sommes des men­teurs, tri­cheurs, voleurs, tueurs ». Un por­trait sans conces­sion, tota­le­ment assu­mé par Ross Brad­ley, le bas­siste du groupe. « Gut­ter est un mor­ceau plein de cha­grin et d’es­poir. Le géno­cide éco­lo­gique, comme le pro­jet Cop City qui détruit actuel­le­ment les forêts d’At­lan­ta, est de plus en plus cou­rant. L’appétit insa­tiable du colo­nia­lisme et du capi­ta­lisme vise à mettre fin à la vie sur terre pour en tirer du pro­fit. Cela ne s’ar­rê­te­ra pas tant que nous ne l’ar­rê­te­rons pas. Nous pen­sons que la terre appar­tient à ses gar­diens indi­gènes et qu’elle doit leur être ren­due. Gut­ter est un appel à l’ac­tion, dans l’es­poir qu’un monde meilleur soit tou­jours pos­sible, et même inévi­table, si c’est ce que nous choi­sis­sons ».

En effet, l’Atlan­ta Public Safe­ty Trai­ning Cen­ter, mieux connu sous le nom de Cop City, est un pro­jet qui fait actuel­le­ment beau­coup de bruit en Geor­gie. Il s’agit de la construc­tion, tou­jours en cours, d’un vaste cam­pus afin d’y for­mer de futur·es pompier·es et policier·es. Mais pour que ce com­plexe puisse voir le jour, il leur est notam­ment néces­saire de raser une bonne par­tie de ter­ri­toires boi­sés, appar­te­nant ini­tia­le­ment aux Creeks, une tri­bu d’Amérindien·nes chassé·es par le gou­ver­ne­ment fédé­ral en 1830. Un pro­jet qui, s’il était exé­cu­té en Bel­gique, pour­rait être qua­li­fié d’écocide. Aux États-Unis, le mou­ve­ment visant à pro­té­ger les lieux est sans cesse pour­sui­vi par les auto­ri­tés et s’en en déjà sui­vi par des dizaines d’arrestations pour « ter­ro­risme domes­tique ».

« Un règne de ruine — Nous sommes en deuil — Sans l’ombre d’un doute — La source a tou­jours été la cupi­di­té », pour­suit le mor­ceau Gut­ter, dans un sludge plu­tôt éner­vé, cras­seux à sou­hait et pour l’occasion rejoint par Bryan Funck (voca­liste du groupe Thou) et l’artiste Emi­ly McWilliams. Ce com­bat à Atlan­ta pour la pré­ser­va­tion de l’écosystème n’est aus­si pas sans rap­pe­ler d’autres luttes simi­laires, telles que les ZAD en France, en Suisse et en Bel­gique. Ces ZAD – pour Zone à défendre – sont des occu­pa­tions de cer­tains espaces, ces der­niers étant voués à y accueillir des pro­jets qui anéan­ti­ront l’écosystème pré­sent sur place.

On pense par exemple à la ZAD d’Arlon, démar­rée en 2019, qui avait pour objec­tif de blo­quer la construc­tion d’un parc d’ac­ti­vi­tés éco­no­miques, afin de pré­ser­ver la sablière de la région et de sau­ve­gar­der la bio­di­ver­si­té en place. Le camp de zadistes sera fina­le­ment rasé en 2021, mais a néan­moins per­mis que le pro­jet tienne davan­tage en compte le vivant pré­sent sur le ter­ri­toire convoi­té. Un peu plus de 700 km plus loin, on pense éga­le­ment à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, en France, démar­rée en 2008 et deve­nue une zone emblé­ma­tique de lutte contre le pro­jet de construc­tion d’un aéro­port. Après 10 ans de com­bats, le pro­jet d’aéroport est fina­le­ment aban­don­né, en 2018. Cette fois-ci, le bras de fer a don­né rai­son aux militant·es.

« C’est notre choix — Nous pou­vons choi­sir autre chose », clô­ture Lex San­tia­go, à pleins pou­mons, en fin de mor­ceau. Un phare dans l’océan, déci­dé­ment plus que néces­saire en ces temps troublés.