Entretien avec Yves Delvaux

« Plan Azote » : la culture intensive remise en question 

Illustration : Vanya Michel

Les fortes concen­tra­tions d’azote dans les sols liées à l’élevage inten­sif sont ciblées par une régle­men­ta­tion de la Com­mis­sion envi­ron­ne­men­tale euro­péenne qui va se voir tra­duite à l’échelle locale en « Plans azote ». Ceux-ci visent à pro­té­ger les zones natu­relles Natu­ra 2000 de ces pol­lu­tions de l’air et de l’eau. Le monde agri­cole se sent pour sa part stig­ma­ti­sé et aban­don­né. En effet, le Plan azote va entrai­ner de fortes réduc­tions de chep­tel et des fer­me­tures d’exploitations d’ici à 2030. Aux Pays-Bas et en Flandre, deux ter­ri­toires hau­te­ment émet­teurs, il sus­cite des réac­tions poli­tiques intenses. En Hol­lande, il a ain­si ame­né la vic­toire élec­to­rale aux pro­vin­ciales d’un nou­veau par­ti popu­liste, le Boer Bur­ger Bewe­ging (« Mou­ve­ment agri­cul­teur-citoyen »), qui a sur­fé sur la colère des agri­cul­teurs. Que pro­voque-t-il en Flandre ? Yves Del­vaux, éco­no­miste inté­res­sé par la ques­tion, fait le point.

Quel est le problème avec l’azote en Flandre ?

C’est une ques­tion très trai­tée dans les médias fla­mands, beau­coup moins côté fran­co­phone. Elle est notam­ment liée à l’élevage inten­sif de porcs, bovins et poules très pré­sents au nord du pays et qui émettent la majeure par­tie d’un gaz pol­luant : l’azote. L’élevage inten­sif pro­duit en per­ma­nence un volume énorme de lisier. Cela entraine des effets délé­tères en matière d’environnement par­ti­cu­liè­re­ment en matière de nitrates et d’azote. Une régle­men­ta­tion euro­péenne demande à tous les États membres à ce que les seuils accep­tables d’émissions d’azote soient for­te­ment abais­sés, notam­ment au niveau des zones pro­té­gées par la légis­la­tion euro­péenne comme les zones Natu­ra 2000.

Pré­sent dans le fumier et dans le lisier, l’azote est indis­pen­sable dans le déve­lop­pe­ment des plantes. C’est un fer­ti­li­sant utile mais qui, en quan­ti­té exces­sive, pro­voque à terme des pertes de pro­duc­tions agri­coles, et aus­si une pol­lu­tion des cours d’eau via la libé­ra­tion de métaux lourds dans le sol. L’élevage inten­sif dans le nord du pays pro­duit une quan­ti­té astro­no­mique d’azote : 90 % des porcs belges se trouvent en Flandre.

Qu’est-ce que « l’Arrêt Azote ? » qui a tout démarré ?

L’Arrêt Azote date de 25 février 2021. Il s’agit d’un arrêt d’une qua­ran­taine de pages du Raad voor Ver­gun­ning­sbet­wis­ting (c’est-à-dire le Conseil des litiges pour l’octroi des per­mis), une juri­dic­tion admi­nis­tra­tive de la Région fla­mande. Sur la base des règles et déci­sions prises au niveau euro­péen, l’arrêt remet en cause le mode de cal­cul des émis­sions d’azote uti­li­sé jusqu’à pré­sent pour octroyer les per­mis aus­si bien agri­coles qu’industriels par le gou­ver­ne­ment et les auto­ri­tés flamandes.

Outre ce Conseil des litiges, qui joue un rôle majeur, le Conseil d’État et bien sûr l’Union euro­péenne jouent éga­le­ment leur par­ti­tion dans l’évolution de ce dos­sier com­plexe. Ce qui se passe en la matière aux Pays-Bas influence éga­le­ment l’approche fla­mande du dossier.

Avec cet « Arrêt Azote », des plans d’extension ou les pro­jets de nou­velles implan­ta­tions tant agri­coles qu’industrielles n’allaient plus être accep­tés. Des fer­me­tures pures et simples étaient aus­si envi­sa­gées. Le Gou­ver­ne­ment fla­mand a donc dû réagir. Une pre­mière ver­sion d’un « plan Azote » a alors péni­ble­ment vu le jour en février 2022.

Ce Plan azote défraie en effet la chronique au nord du pays depuis plus d’un an. Qu’est-ce qui est sur la table ?

Le texte du pre­mier plan, celui de février 2022, rédi­gé par la ministre de l’Environnement et de la Jus­tice Zuhal Demir (N‑VA), pré­voit notam­ment la fer­me­ture d’ici à 2025 de 41 exploi­ta­tions agri­coles inten­sives situées à proxi­mi­té de zones Natu­ra 2000. Il faut savoir que la Flandre héberge 47 sites Natu­ra 2000 dont 38 sont consi­dé­rés par la Com­mis­sion euro­péenne comme étant dans un « état de conser­va­tion déplo­rable ». Quelque 120 autres exploi­ta­tions sont invi­tées à ces­ser leur acti­vi­té sur base volon­taire d’ici à 2026. De coû­teuses indem­ni­sa­tions sont envi­sa­gées pour com­pen­ser ces arrêts d’activités dans des sec­teurs sur­tout liés à l’agro-business. Des mil­liers d’autres exploi­ta­tions devraient par ailleurs prendre des mesures pour réduire leurs émis­sions d’azote, y com­pris par une réduc­tion du chep­tel. Pour l’élevage por­cin, on vise ain­si une réduc­tion du chep­tel de 30 % d’ici à 2030. Une enve­loppe colos­sale de 3,6 mil­liards d’euros est pré­vue pour aider finan­ciè­re­ment les agri­cul­teurs concer­nés. Il y a donc une véri­table remise en cause du modèle agri­cole fla­mand intensif.

Cette pre­mière ver­sion du plan a conduit à de nom­breuses dif­fi­cul­tés et fric­tions poli­tiques. Notam­ment et par­ti­cu­liè­re­ment avec le CD&V qui a fait obs­truc­tion en étant for­te­ment sou­te­nu par le syn­di­cat des agri­cul­teurs, le Boe­ren­bond. Ce plan a été pris en grippe par les éle­veurs de bétail qui menacent de l’attaquer via un recours devant la Cour d’Arbitrage.

Quelles mesures ont été prises par le gouvernement flamand suite à ces premières protestations ?

Suite aux remous pro­vo­qués par la pre­mière ver­sion du Plan Azote, y com­pris au sein du gou­ver­ne­ment fla­mand, une deuxième mou­ture a été conçue par la ministre. Qu’est-ce qui a chan­gé ? Pas grand-chose. Au lieu de se fixer comme objec­tif 50 % en moins d’azote pour 2025, le nou­veau plan reporte cette échéance à 2030… D’ici là, il fau­dra pro­cé­der à des études pour trou­ver des amé­na­ge­ments plus fiables. Cer­taines entre­prises agri­coles devront de toute façon pro­cé­der à la fer­me­ture de leur exploi­ta­tion d’ici 2025.

Sou­li­gnons d’ailleurs que ce plan deuxième mou­ture doit encore être concré­ti­sé par un décret. On n’a de toute façon pas fini d’entendre par­ler de ce sujet en Flandre et aux Pays-Bas, les deux ter­ri­toires étant tous deux clai­re­ment cham­pions euro­péens en matière d’émissions d’azote.

Quelles conséquences politiques cela produit ?

Ces der­nières semaines, notam­ment dans une carte blanche dans le jour­nal « De Tijd », la ministre Demir (N‑VA) a clai­re­ment dési­gné l’Europe comme étant la res­pon­sable des mesures sévères accom­pa­gnant le Plan azote. Elle rejette notam­ment la faute sur Frans Tim­mer­mans, actuel Com­mis­saire euro­péen à l’Action pour le cli­mat. En même temps, elle a pra­ti­qué la poli­tique de la chaise vide lors de 9 réunions des ministres euro­péens de l’agriculture. Actuel­le­ment, il n’y a donc plus vrai­ment de posi­tion belge en matière d’environnement, en l’absence de posi­tion com­mune entre la Flandre et la Wal­lo­nie, due il est vrai aux posi­tions de plus en plus extrêmes de la NV‑A, qui estime que la poli­tique envi­ron­ne­men­tale euro­péenne est contraire aux inté­rêts de la Flandre. Du coup la Bel­gique s’abstient à chaque vote.

La question de la répartition des efforts entre l’agriculture et l’industrie semble aussi être un nœud ?

En effet, le monde agri­cole est furieux car il estime qu’il doit four­nir tous les efforts, et pas l’industrie. Pro­blème : la source des émis­sions d’azote est à plus de 70 % d’origine agri­cole, le reste étant cau­sé par l’industrie et la cir­cu­la­tion rou­tière. Il est en fait tech­ni­que­ment plus facile de faire dimi­nuer l’oxyde d’azote de l’industrie que l’ammoniac (dont l’azote est l’un des com­po­sants) de l’agriculture. Le nou­veau plan azote conti­nue à tolé­rer un dépas­se­ment de 1 % des valeurs admis­sibles pour l’industrie, contre 0% pour l’agriculture. La ministre Zuhal Demir (N‑VA) appa­rait ain­si plus sen­sible aux inté­rêts des indus­triels qu’à ceux des agriculteurs.

Est-ce que dans le sud du pays l’azote fait débat ?

En Wal­lo­nie, cette ques­tion sus­cite peu de débats. Le plan azote du gou­ver­ne­ment wal­lon a été dis­cu­té et approu­vé sans bruits. Il faut dire que la struc­ture agri­cole y est très dif­fé­rente, par exemple la pro­por­tion de l’élevage de porcs est très minime en Wal­lo­nie. Il n’y a pas de concen­tra­tion dans une région, mais il y a bien sûr une légis­la­tion qui existe et qui n’octroie pas néces­sai­re­ment des per­mis d’environnement pour exploi­ter ce type d’élevage.

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