Antigone

Sophie Deraspe

On assiste ici à une approche fran­che­ment auda­cieuse du célèbre mythe et de la tra­gé­die de Sophocle Anti­gone. On le sait, on com­mence à en avoir l’habitude le ciné­ma cana­dien s’attache sou­vent à par­ler des familles. Le ciné­ma poli­tique, mili­tant, est, lui beau­coup plus rare. La réa­li­sa­trice Sophie Deraspe, l’une des plus brillantes cinéastes cana­diennes du moment, brise ici les codes et joue avec les fron­tières du bien et du mal. Pour plan­ter le décor, les per­son­nages de cette famille, réfu­giée d’Algérie, vivent à Mont­réal. Anti­gone, fille aux yeux d’un bleu trou­blant, s’affirme comme une com­bat­tante poli­tique dans un pays déve­lop­pé comme le Cana­da, sou­vent valo­ri­sé pour sa poli­tique migra­toire attrac­tive. Anti­gone, l’héroïne du film, réagit for­te­ment à la pri­va­tion de liber­té de son petit frère qui vient d’être injus­te­ment arrê­té par la police. Police qui a par ailleurs sau­va­ge­ment assas­si­né l’aîné de la famille. Dès lors, elle décide de se faire cou­per les che­veux, se faire tatouer les bras de sym­boles de guerre bien déci­dée à faire sor­tir son frère de pri­son. Elle pro­cède lors d’une visite au par­loir à un échange de son frère avec elle. La mas­ca­rade ne dure­ra hélas pas très long­temps. Le plus jeune des enfants est mena­cé quant à lui d’être expul­sé vers son pays d’origine, l’Algérie. Atten­tion les mots ont un sens. « Expul­ser » se dit en cana­dien « dépor­ter ». Le mythe de Sophocle entre ici en piste et montre toute la colère de l’héroïne contre la tyran­nie du pou­voir. Tyran­nie tour­née contre le sort réser­vé aux gens de peu et aux migrants. On pour­rait pen­ser sans nul doute qu’Antigone légi­time une colère éthique, une forme de rébel­lion contre la loi et la règle quand ces der­nières sont injustes. Ce film épa­tant pose de vraies ques­tions, celles qui concernent les per­sonnes exi­lées, recueillies au titre de l’asile poli­tique ou éco­no­mique, celles qu’on vou­drait réduire à leur sta­tut et à un silence de recon­nais­sance. Dans Anti­gone, les femmes ren­forcent la dimen­sion poli­tique du film, à com­men­cer par la grand-mère qui a fui l’Algérie avec ses petits-enfants, au moment de la mort des parents. Elle a tout per­du : son pays, ses enfants, son hon­neur. La seule répa­ra­tion pos­sible, c’est celle de cares­ser l’espoir de trou­ver un havre de paix qui ferait de la jus­tice et de la sécu­ri­té un rem­part contre la barbarie.

La jeune comé­dienne, Nahé­ma Ric­ci dans le rôle d’Antigone nous touche par ses émo­tions, ses empor­te­ments, ses rages et ses révoltes. Le film n’a pas peur des excès et des qui­pro­quos, loin s’en faut. Anti­gone revi­site ici un mythe à l’aune des jeunes gens de toutes les ori­gines et de toutes les classes sociales, qui com­posent aujourd’hui l’avenir du Cana­da. D’un bout à l’autre, ce film résonne tel un hymne à la jeu­nesse et une invi­ta­tion à la liber­té. (SB)

Sabine Beaucamp

Antigone
Sophie Deraspe
Canada, 2020

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