Les étendues imaginaires

Yeo Siew Hua

Il est impos­sible de défi­nir ce film, tan­tôt thril­ler, tan­tôt film social, tan­tôt fable sur ce qui isole les indi­vi­dus : les fron­tières et les pas­se­ports, mais aus­si la mer que l’humain arrive, mal­gré tout, à gri­gno­ter dans sa folie de conquête. Car le film se déroule à Sin­ga­pour, ter­ri­toire encla­vé qui tente de s’étendre sur la mer en se pro­cu­rant du sable d’autres pays, et ce, à n’importe quel prix y com­pris par l’appel à la « mafia du sable » et l’exploitation d’une main d’œuvre bon mar­ché. C’est sur l’un de ces chan­tiers d’aménagement du lit­to­ral que l’inspecteur Lok mène une enquête sur l’étrange dis­pa­ri­tion de Wang, un ouvrier chi­nois. Il se heurte à l’irrégularité de l’emploi des migrants et finit par se lais­ser entrai­ner dans un uni­vers à la fois noc­turne et onirique.

Der­rière la soli­tude, il y a le lien que tissent ces âmes errantes, à tra­vers le jeu en ligne, puisque tout revient dans un cyber­ca­fé tenu par une femme qui ne rêve que de liber­té. Mais aus­si dans l’amorce d’une ten­ta­tive de grève afin de dénon­cer les condi­tions de tra­vail. Ces esclaves modernes venant d’autres pays, comme le Ban­gla­desh, dépos­sé­dés de leur pas­se­port, de leur iden­ti­té, cherchent à trou­ver un espace de liber­té dans la danse, l’amitié, ou sim­ple­ment le rêve.

Le film est trouble à tra­vers ses fla­sh­backs, ses fron­tières entre rêve et réa­li­té, la nuit devient le lieu de tous les pos­sibles. Une nuit où res­plen­dissent les grues et machines d’acier. L’univers de Lynch n’est pas loin, lorsque l’inspecteur finit par entrer dans le corps de la per­sonne qu’il recherche, péné­trant une réa­li­té paral­lèle, s’interrogeant sur la signi­fi­ca­tion de pas­sage et de la mort comme unique échap­pa­toire. Un film mys­té­rieux donc, ser­vi par une musique envoû­tante. Et qui touche à la pos­si­bi­li­té de s’évader sur d’imaginaires éten­dues et de voya­ger sans bouger.

Ruben Falkowicz

Les étendues imaginaires
Un film de Yeo Siew Hua
2018

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