Premier long de Julie Lecoustre et Emmanuel Marre, « Rien à foutre » nous fait suivre les errances de Cassandre (interprétée par Adèle Exarchopoulos), 26 ans, une hôtesse de l’air travaillant pour une compagnie low-cost, qui traverse la vie de manière éthérée, de vols en fêtes, sans jamais s’attacher à quoi que ce soit ni à quiconque. Jusqu’au moment où un incident la ramène au sol et la force à tenter de se reconnecter au monde et à sa famille. Le travail précaire au sein d’une compagnie type Ryan Air, c’est-à-dire où le voyage est un prétexte à la vente en duty free de produits cosmétiques, de chips et d’alcool, y est particulièrement bien filmé. Elle met en scène ces enfants du néolibéralisme, qui contestent si peu leurs conditions de travail, qui acceptent tous les changements d’horaires de dernière minutes et les règles infantilisantes. Le seul moyen de survie mentale, c’est de consommer le monde et d’en avoir rien à foutre de tout. Du lendemain, de sa carrière, des amours, de la famille. C’est renoncer à toutes attaches et être l’entrepreneur ultra flexible de soi-même. De non-lieux en non-lieux, ballotée au hasard des liaisons, avec pour seul horizon Dubaï, cœur contemporain du capitalisme tardif, les turpitudes sans passion de Cassandre nous laisse le goût doux-amer d’une technique de survie en milieu hostile qu’on sait par trop bancale. Le tandem Lecoustre et Marre nous offre un film-document, naturaliste et constitué largement de scènes improvisées par ses protagonistes, emblématique de la violence subtile de nos temps inaboutis.
Aurélien BerthierRien à foutre
Julie Lecoustre et Emmanuel Marre
2022