Entretien avec Rencontre des Continents

Dérouler le fil politique de notre assiette

Photo : Emilia Tillberg

Ren­contres des Conti­nents est une asbl qui tra­vaille sur l’éducation à la citoyen­ne­té mon­diale. Leur porte d’entrée, c’est l’assiette, conçue comme un moyen de tou­cher à l’écologie, à l’économique, au social ou encore aux rela­tions Nord-Sud. La vision qui guide leurs ate­liers est sys­té­mique et vise à mettre en rela­tion les dif­fé­rents domaines qui touchent à l’alimentation. Un pro­ces­sus d’éducation popu­laire long et por­teur qui per­met d’éviter de ren­trer dans la culpa­bi­li­sa­tion des indi­vi­dus et d’en res­ter au stade de l’écoconsommation. Ren­contre avec Line Nguyen et Cédric Hel­le­mans, qui animent des ate­liers cui­sine pour des groupes, un outil des­ti­né à abor­der l’alimentation dans toute sa complexité.

Pourquoi avoir choisi l’entrée de l’alimentation pour vos animations ? Et, alors que des critiques fondées se portent sur l’idée de vouloir apprendre à cuisiner à des publics précaires, parce que cela nie souvent la dimension économique des problèmes rencontrés par ces publics, comment envisagez-vous l’outil cuisine à Rencontre des Continents ?

Line Nguyen La thé­ma­tique de l’alimentation touche tout le monde. Peu importe la classe sociale, peu importe la culture, la bouffe est un sujet qui touche, qui fait par­ler parce que ça ren­voie à la culture, à la san­té, à ses habi­tudes… On s’aperçoit bien que si on parle direc­te­ment des accords de libre-échange, ça par­le­ra moins aux gens que si on aborde ce thème par la porte de la nour­ri­ture. L’atelier cui­sine, l’assiette, ce n’est pas une fin en soi mais c’est bien une porte d’entrée à une édu­ca­tion à la citoyen­ne­té mon­diale et vers un dis­cours poli­tique. Il s’agit de faire ensemble et de trou­ver des outils qui font dis­cu­ter les gens. Et la cui­sine est un outil par­ti­cu­liè­re­ment effi­cace pour ça ! Il ne s’agit pas du tout de culpa­bi­li­ser et de dire « Ah, mais, il faut man­ger comme-ci ou comme ça », mais bien de créer un moment de convi­via­li­té qui faci­lite les échanges et la dis­cus­sion. Et qui, sur le temps long, va per­mettre de créer des liens, puis de pas­ser à l’action ensemble.

Cédric Hel­le­mans On ne va pas faire des cours de cui­sine pour don­ner des recettes aux gens pour qu’ils les fassent chez eux ! Nous on veut vrai­ment faire des ate­liers de cui­sine éco­lo­gique et poli­tique, c’est-à-dire de déve­lop­per, à tra­vers l’assiette, des réflexions sur le sys­tème. Ce n’est donc pas du tout la même chose que de don­ner des « cours de cui­sine ». D’ailleurs, il y a quelques années, un CPAS avait fait appel à nous et insis­tait pour qu’on fasse un one shot d’un ou deux cours de cui­sine. On a refu­sé et bien pré­ci­sé qu’on ne pour­rait pas abor­der la dimen­sion glo­bale de l’alimentation, appré­hen­der l’ensemble du sys­tème avec si peu de séances. Face à l’étonnement de l’institution pour qui ces publics « ne pensent pas à la poli­tique et ont d’autres prio­ri­tés », on a vrai­ment appuyé pour qu’ils aient accès à ce dis­cours-là aus­si, qu’ils puissent aus­si réflé­chir et se deman­der par exemple pour­quoi l’accès au bio n’est pas plus géné­ra­li­sé, ou ce qu’on peut faire au niveau du sys­tème pour le faire changer.

Comment vous y prenez-vous, dans le cadre de ces animations, pour emmener des groupes vers cette dimension plus politique ? Est-ce que vous avez des démarches et des outils spécifiques ?

LN Chez Ren­contre des Conti­nents, déjà, on prend le temps. Rien que soi­gner l’accueil, prendre des nappes, des jolies tasses, des bons bis­cuits, des bons thés, le faire durer 20 minutes, et envi­sa­ger ce temps comme une par­tie de l’animation, ça change tout. Il faut vrai­ment consi­dé­rer les gens et leur offrir un moment de qualité.

CH C’est vrai­ment essen­tiel ce que Line dit, de prendre le temps, celui aus­si d’investir les sujets, et de les habi­ter vrai­ment. Et, effec­ti­ve­ment, ça se fait en consi­dé­rant les per­sonnes avec les­quelles on par­tage des moments d’animation. Cette ques­tion du temps est d’ailleurs fon­da­men­tale quand on se demande com­ment don­ner les moyens de don­ner accès à tout le monde à une réflexion poli­tique et à une action poli­tique dans la socié­té. L’objectif n’est pas de faire du quan­ti­ta­tif et des résul­tats, ce qu’on aurait plus faci­le­ment en allant vers un public classe moyenne, his­toire d’avoir un petit retour poli­tique avec des gens qui ont fait l’université en quelques séances. Mais, quand on tra­vaille sur le long terme, on crée un lien et une réflexion col­lec­tive plus per­ti­nente et tel­le­ment plus forte.

C’est vrai­ment quelque chose qui n’est pas évident parce que d’un autre côté, on a des pou­voirs sub­si­diants qui veulent, eux, des résul­tats et des chiffres. Et donc, ce n’est pas évident d’investir dans le temps et la qua­li­té. Mais, c’est un choix poli­tique d’une asso­cia­tion qui fait de l’éducation que d’investir dans le long terme et d’accepter de tra­vailler avec des groupes par­fois très réduits. Par exemple, quand on tra­vaille avec des publics plus pré­ca­ri­sés, les participant·es peuvent avoir des urgences. Ce qui fait qu’on peut se retrou­ver à faire une ani­ma­tion avec seule­ment la moi­tié du groupe, on doit rat­tra­per une fois après. Il faut une grande capa­ci­té d’adaptation. Mais, il faut le faire car ça aide vrai­ment, à pou­voir habi­ter les sujets et les rendre plus sensibles.

LN Ren­contre des Conti­nents est une asso­cia­tion très enga­gée. Et on avance en réseau avec d’autres orga­ni­sa­tions. Je pense entre autres au Front, « Rendre visible l’invisible », où on invite les per­sonnes concer­nées et des asso­cia­tions à venir se posi­tion­ner poli­ti­que­ment, à faire des actions poli­tiques, notam­ment pour la Jour­née de lutte contre la pau­vre­té, le 17 octobre. On sait bien qu’un ate­lier cui­sine n’est pas la solu­tion en soi, que même si tout le monde cui­si­nait bio et de sai­son, ça ne chan­ge­rait pas le monde. Mais si cui­si­nier relève plu­tôt du niveau indi­vi­duel, dans notre visée sys­té­mique, on arrive assez vite à le relier à des niveaux col­lec­tif et poli­tique. Et il y a des per­sonnes, peu importe leur classe sociale d’ailleurs, qui vont se rendre compte qu’en fait cui­si­ner, ce n’est pas leur envie pre­mière, mais que par contre par­ti­ci­per à une action, s’informer, venir témoi­gner les por­te­ront plus.

CH Ça veut dire aus­si que concrè­te­ment quand on arrive devant des groupes, on leur ramène aus­si de flyers de telles ou telles actions à venir, de telles choses qui se passent, en leur disant que « Ça, ça vous concerne, vous pour­riez vous inves­tir là-dedans ». On leur pro­pose toute une varié­té de choses aux­quelles ils peuvent par­ti­ci­per. Par­fois, ça ne prend pas, et pas de sou­cis, on en res­te­ra au temps de l’atelier mais, par­fois, ça prend vrai­ment bien. On a plein d’exemples de groupes, ou de per­sonnes dans des groupes, qui ont vrai­ment sai­si le truc. Je pense par exemple aux participant·es à un groupe de deman­deurs d’emploi ou envoyé·es par une mis­sion locale qui, près de 7 ans après, sont main­te­nant volon­taires dans l’asso, qui s’investissent dans des for­ma­tions, viennent aux mobi­li­sa­tions, par­ti­cipent aux actions et s’y impliquent politiquement.

Comment emmenez-vous votre groupe vers les processus délétères de l’agrobusiness et de la grande distribution ?

LN En fait, on com­mence par ça durant nos ani­ma­tions ! Elles sont le plus sou­vent arti­cu­lées en deux temps : dénoncer/énoncer. On com­mence par dénon­cer les impasses du sys­tème ali­men­taire. On a plu­sieurs outils comme le jeu de la ficelle (un jeu inter­ac­tif qui per­met de repré­sen­ter par une ficelle les liens, impli­ca­tions et impacts de nos choix de consom­ma­tion) ou le voyage de la tomate d’Almeria qui retrace tout le voyage d’une tomate de super­mar­ché. On voit, ce fai­sant, que ça touche l’écologie, l’immigration, l’éthique, la sobrié­té, le bio, le local, et que ça ravage tout.

CH J’utilise sou­vent « Je mange donc je suis », un court métrage de Vincent Bru­no dont le but est d’expliquer le concept de sou­ve­rai­ne­té ali­men­taire et de mon­trer les effets per­vers de la libé­ra­li­sa­tion des échanges com­mer­ciaux dans le sec­teur agri­cole. Il met vrai­ment le doigt sur la manière dont les prix sont fixés, le lien avec une orga­ni­sa­tion pro­blé­ma­tique comme l’OMC. Et effec­ti­ve­ment, on s’inscrit dans cette approche-là : la dénon­cia­tion d’abord et l’énonciation ensuite afin d’arriver à la ques­tion « qu’est-ce qu’on peut faire ? ». Et là nos pos­si­bi­li­tés d’action peuvent être vrai­ment variées. On peut avoir des solu­tions indi­vi­duelles, col­lec­tives ou plus globales.

Comment concevez-vous le rôle de l’animateur·trice dans le cadre des animations que vous menez ?

LN L’animateur doit être dans une pos­ture où on amène plu­tôt le conte­nant que le conte­nu. On a des outils qui per­mettent vrai­ment ça, c’est-à-dire de faire dia­lo­guer les gens : pas mal de pho­tos-lan­gages, le jeu de la ficelle donc, qui s’adapte vrai­ment au groupe et peut durer quatre heures comme deux jours… Notre rôle, c’est vrai­ment de faire émer­ger les repré­sen­ta­tions des gens, et de les mettre en dia­logue. Et puis c’est aus­si de faire en sorte que les gens prennent posi­tion. Je pense que c’est impor­tant pour pou­voir déci­der. Ce n’est pas juste faire papote autour d’une assiette, il s’agit de se posi­tion­ner en vue éven­tuel­le­ment d’agir.

Et puis je par­lais tan­tôt de l’importance d’un bon accueil des participant·es. Ça me fait repen­ser au rôle glo­bal de « l’architecture invi­sible », un ensemble de petits dis­po­si­tifs et atten­tions en arrière-plan de l’animation qui vont per­mettre au groupe de se sen­tir bien, de se sen­tir consi­dé­ré, de s’autoriser à prendre la parole, d’avoir le temps de pou­voir ren­trer dans le sujet, de pou­voir apprendre cer­taines choses et puis pou­voir, peut-être un peu plus tard, les res­ti­tuer à des per­sonnes qui viennent d’arriver. C’est notam­ment inté­res­sant quand on mène des pro­jets sur le long terme.

CH Ça n’a l’air de rien, mais c’est une démarche très sub­ver­sive de mettre la prio­ri­té sur le sen­sible et de faire l’éloge de la len­teur. C’est quelque chose qui va tout à fait à contre-cou­rant de ce que la socié­té nous impose. Tout ce qui va per­mettre aux gens d’être bien dans nos ani­ma­tions est vrai­ment primordial.

De manière géné­rale, il y a une réflexion per­ma­nente à avoir sur notre pos­ture et sur le dis­po­si­tif. Il faut remettre les choses en ques­tion tout le temps. Et, ça aus­si c’est indis­pen­sable pour ne pas tom­ber dans la culpa­bi­li­sa­tion des indi­vi­dus. Car il s’agit de se pré­sen­ter en tant qu’humain·e en pro­gres­sion devant les gens, et non pas dans une pos­ture haute, détenant·e du savoir. Il faut mettre sur la table qu’on est nous aus­si pris·e dans des contra­dic­tions, qu’on a nous aus­si plein de choses à apprendre et pro­po­ser de che­mi­ner ensemble.

On cherche ensemble, on se pose des questions ensemble… pour éviter l’écueil de la culpabilisation individuelle ?

CH Oui, on avance ensemble et, au final, ça fonc­tionne bien. Mais le plus dur pour moi, ce n’est pas tant d’éviter que les gens culpa­bi­lisent. Le plus dur pour moi, c’est d’éviter qu’ils dépriment ! C’est d’éviter qu’ils soient décou­ra­gés devant notre sys­tème, c’est d’arriver à leur don­ner de l’énergie pour l’affronter et d’essayer de don­ner une impul­sion au chan­ge­ment de ce sys­tème malade.

LN Je le res­sens aus­si fort ! Et à ce niveau-là, peu importe la classe sociale des gens. Quand on fait la par­tie « dénon­cer le sys­tème », avant celle d’ « énon­cer des alter­na­tives ». Les gens ne sont pas en train de se dire « Ah mon dieu, je suis une hor­rible per­sonne, je ne sais pas man­ger bio ! » mais plu­tôt « C’est pas pos­sible, on se fout de notre gueule, com­ment est-ce qu’on va faire ? ». Tout l’enjeu, c’est d’arriver à remon­ter le moral des gens, à dépas­ser les angoisses en enga­geant les pers­pec­tives de l’action col­lec­tive, en leur disant « Allez, on va le faire ensemble, mettons‑y tous un peu d’énergie, il y a plein de gens qui le font ».

CH C’est d’ailleurs vrai­ment néces­saire à ce moment-là de prendre un temps pour accueillir les émo­tions de chacun·e : la tris­tesse, le décou­ra­ge­ment, la colère… Et notre rôle c’est de les aider à trans­for­mer ces émo­tions pesantes en source de mobi­li­sa­tion. Le fait d’être en groupe pour expri­mer ça aide aus­si parce que, quand on est ensemble, on se sent moins seul·e et démuni·e face à ça. Le col­lec­tif per­met sou­vent d’aller au-delà d’un décou­ra­ge­ment bien compréhensible.

En animation en matière d’alimentation, il y a un renversement à effectuer, l’idée que la nourriture n’est pas seulement à considérer comme un besoin biologique mais bien comme un droit, un droit qu’il faut garantir à tout le monde. C’est quelque chose qui guide votre approche ?

CH Oui, la ques­tion de la sou­ve­rai­ne­té ali­men­taire, c’est quelque chose qu’on pose sans cesse.

LN C’est jus­te­ment ce qui per­met de ne pas res­ter dans l’écoconsommation. Car, oui, la nour­ri­ture, ce n’est pas juste man­ger. Ça relève de la culture, ça relève de l’identité, ça relève des habi­tudes, ça relève de son bud­get aus­si ! Et donc, de consi­dé­rer tout ça, ce n’est pas juste dire « regarde, tu peux aller faire tes courses là-bas et puis tu éco­no­mi­se­ras sur autre chose, et comme ça tu peux man­ger local et bio ». Oui, c’est un droit. Et la défense de ses droits, c’est jus­te­ment au niveau plu­tôt poli­tique et col­lec­tif que ça se joue. En ani­ma­tion, ça émerge sou­vent les pro­messes non tenues de l’État, les man­que­ments au droit des mul­ti­na­tio­nales, des lois inter­na­tio­nales ou euro­péennes qui nient ce droit etc. Il faut resi­tuer la res­pon­sa­bi­li­té qui est col­lec­tive et ne repose pas sur les épaules des individus.

CH À un cer­tain moment, il faut invi­ter nos animée·es sur ce ter­rain où on reven­dique nos droits. Quand j’amène le film « Je mange donc je suis », on se rend compte du rôle de l’OMC et des accords de Mar­ra­kech dans l’instauration d’un sys­tème com­plè­te­ment per­ni­cieux, où le prix de l’alimentation est fixé sur celui qui l’a pro­duit le moins cher. À ce moment-là, on peut avoir une vision vrai­ment glo­bale du sys­tème et uti­li­ser cette porte d’entrée-là pour aller vers le pay­san. On parle des condi­tions des paysan·nes dans le Sud, mais aus­si des paysan·nes chez nous. Car cela fait par­tie des condi­tions pour une sou­ve­rai­ne­té ali­men­taire, qui n’est pas seule­ment un droit de consom­mer les ali­ments, mais c’est aus­si un devoir de res­pec­ter ceux et celles qui pro­duisent les ali­ments. Et, de déve­lop­per une autre vision glo­bale sur ce que c’est une ali­men­ta­tion. On débouche aus­si vers une conscien­ti­sa­tion du fait que man­ger pay­san, c’est dif­fi­cile dans une ville comme Bruxelles, mais que c’est fon­da­men­tal d’essayer de trou­ver des moyens pour. On fait par exemple le lien entre des petits pro­duc­teurs-trices, des petits paysan·nes, des petits marai­chers-chères qui débutent et qui galèrent, avec des gens pré­ca­ri­sés qui galèrent eux pour man­ger tous les jours. Ce sont des ren­contres très puis­santes parce que tout le monde se rend compte que c’est un com­bat com­mun qui est à mener.

Viennent se mêler dans ce cadre, j’imagine, des sujets socioéconomiques comme la lutte contre les inégalités, la question de la fiscalité, des revenus aussi. Est-ce qu’une des mesures contre la malbouffe en général, ce ne serait d’ailleurs pas une hausse des revenus et des minimas sociaux ?

CH Clai­re­ment, c’est ce que quelqu’un comme Oli­vier De Schut­ter défend d’ailleurs. Il fus­tige les super­mar­chés dis­count qui ne vont pas amé­lio­rer les choses et dit bien qu’au lieu d’essayer de bais­ser les prix de l’alimentation à tout va, ce qui étrangle les agri­cul­teurs-trices, il faut rele­ver les mini­mas sociaux. C’est ça qui est le plus fondamental.

Ça me fait pen­ser à un échange qu’on a eu lors d’une réunion récente de Rendre visible l’invisible, avec des militant·es qui vivent la pré­ca­ri­té au jour le jour. On dis­cu­tait de « récup’ » et leur constat c’était qu’on n’avait pas tou­jours envie de man­ger ce que les autres n’ont pas vou­lu, et que même si on aime bien évi­ter le gas­pillage, on aime bien aus­si pou­voir choi­sir son ali­men­ta­tion, avoir un réel pou­voir d’action sur elle. Et pas juste avoir les restes des riches pour le dire vite.

LN En fait, l’aide ali­men­taire est aus­si un moyen pour la grande dis­tri­bu­tion de pas­ser les inven­dus et ce, dans une logique de cha­ri­té. Ça per­met acces­soi­re­ment à la grande pro­duc­tion de pro­duire plus et de ne pas se pré­oc­cu­per de ses déchets. Et du coup, ça ali­mente un sys­tème de sur­pro­duc­tion qui écrase les pro­duc­teurs, qui fait que l’agriculture est inten­si­fiée, qu’elle s’élargit et qu’il n’y a plus un arbre sur des kilo­mètres à la ronde… Et, en fait pour eux, les déchets pro­duits, ils s’en foutent parce qu’ils n’ont même pas à les gérer. On vient les cher­cher pour eux !

CH Si le fait de faire de la récup, ça aide à décul­pa­bi­li­ser l’agro-industrie, ben, non mer­ci ! Mieux vaut rele­ver les mini­mas sociaux, et taxer le gaspillage.

C’est l’idée que tant que tout ça est guidé uniquement par la logique de profit, il n’y aura pas de changement possible ? Que cette question de la récup permet surtout un greenwashing de la grande distribution ?

CH Oui, et ce green­wa­shing prend des pro­por­tions énormes. Je suis pas­sé il y a quelques mois à l’hypermarché Car­re­four de Dro­gen­bos, et ils ont un rayon « cir­cuit court ». Ils n’ont aucune limite dans l’embrouillage… Ça me révolte vraiment.

LN Et Col­ruyt pro­pose des ate­liers cui­sines maintenant…

Du coup, face à ça, dans notre secteur, qu’est-ce qu’il faut défendre, des alternatives anticapitalistes ?

LN Disons-le clai­re­ment oui, anti-néo­li­bé­rales ! Et pour reprendre les dif­fé­rents niveaux glo­bal, indi­vi­duel et col­lec­tif, il y a plein de choses à défendre à chaque étage.

CH Pour moi, on en revient à la ques­tion du sen­sible. L’importance du sen­sible, c’est de refaire le lien et d’être dans des sys­tèmes humains. Anti­ca­pi­ta­liste et contre le néo­li­bé­ra­lisme, oui, mais, sur­tout aus­si humain. Ce sen­sible qu’on va mettre dans nos ani­ma­tions n’est pas là pour rien, car à un cer­tain moment, c’est avec ça qu’on va faire le lien vers les paysan·nes et des modèles de consom­ma­tion qui ne sont pas de grosses machines mais qui sont plus humaines. C’est tel­le­ment génial de faire par­tie d’un GASAP, et de ren­con­trer l’agriculteur-trice. On doit essayer de trou­ver des moyens de rendre ça acces­sible à n’importe quelle couche de la socié­té. C’est un tra­vail poli­tique qui reste à mener.

Est-ce que la sécurité sociale alimentaire (SSA) est par exemple une piste d’alternative que vous abordez en groupe ?

LN L’idée de la SSA c’est de faire en sorte que l’alimentation ne soit plus consi­dé­rée comme un bien du mar­ché, mais comme un droit fon­da­men­tal, tout comme la san­té. Dans ce modèle, ce serait à charge de l’État, dont la res­pon­sa­bi­li­té est de pro­té­ger ses citoyens, de don­ner accès à une ali­men­ta­tion de qua­li­té durable, à tout le monde. Et donc, en redis­tri­buant les richesses, en par­tant des coti­sa­tions de tout le monde et en redis­tri­buant, en fonc­tion des besoins. C’est super mais par contre, c’est un plan à long terme, c’est un hori­zon qui est à construire petit à petit. Il est indis­pen­sable de réflé­chir entre temps à l’urgence ali­men­taire car les chiffres ont explo­sé de manière hal­lu­ci­nante : la FdSS (Fédé­ra­tion des Ser­vices Sociaux) parle aujourd’hui de 600.000 per­sonnes qui ont recours à l’aide ali­men­taire en Bel­gique, 55.000 à Bruxelles ! Or, actuel­le­ment, si je deviens béné­fi­ciaire de colis ali­men­taire, je me retrouve dans une posi­tion dans laquelle je n’ai pas le choix de ce que je mange et j’alimente le sys­tème qui m’écrase, celui où l’on pro­duit tou­jours plus pour moins cher. Je trouve ça ter­rible. Il faut donc aus­si s’interroger ensemble pour éla­bo­rer des solu­tions qui ne vont pas ren­for­cer un sys­tème créa­teur d’inégalités qui met les gens dans l’urgence. Et aus­si qui recon­naissent et res­pectent les deman­deurs-euses d’aide. Par exemple, aug­men­ter les mini­mas sociaux – c’est une des reven­di­ca­tions de la FdSS –, don­ner des chèques ali­men­taires, bref don­ner de l’argent aux gens pour aller s’acheter à man­ger. Argent qu’il faut bien aller cher­cher quelque part… chez les riches via une fis­ca­li­té plus équilibrée.

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